Avec Mon royaume pour une guitare, paru aux éditions Michel Lafon, Kidi Bebey retrace la vie de son père, Francis Bebey, artiste, musicien et écrivain camerounais. Ce texte, tendre et sensible, est porté par la voix d’une femme qui aime et admire profondément son père. Plus que le récit d’une vie, c’est le témoignage de son affection qu’elle livre. Mon royaume pour une guitare est un hommage vibrant à un homme qui a su s’élever au-delà de sa condition.
Après une enfance vécue au Cameroun, le jeune Francis suit les traces de son grand frère Marcel et part étudier à Paris. Il deviendra alors l’espoir de toute sa famille, demeurée au Cameroun. Il deviendra celui qui, par le travail, saura s’élever, gagner sa vie et les aider à subvenir à leurs besoins. Après ses études, il se dit qu’il rentrera au Cameroun, auprès des siens, et qu’il mettra son savoir au service de son pays. Mais pendant son séjour en France, il rencontre Madé. Madé, il l’a connue petite fille : ils ont grandi ensemble, dans le même village en Afrique. Par un étonnant concours de circonstances, il la retrouve en Europe. Ensemble, ils construisent une vie, à Paris. Fondent une famille. Se font des amis. Apprennent à aimer ce pays d’accueil. Et, petit à petit, leur projet de rentrer au pays s’éloigne, s’efface…
Mon royaume pour une guitare est une déclaration d’amour : à un père, à l’Afrique, à la musique. Trois figures fondamentales de la vie de l’auteur. Intimement liées. Trois entités, qui l’ont aidé à se construire. L’Afrique est omniprésente : une parole prononcée en Duala, un plat typique, une saveur, une odeur… Kidi et ses frères et sœurs naissent et grandissent à Paris, mais leurs parents entretiennent la culture africaine et leur apprennent le Cameroun, ce pays à la fois si lointain et si proche. Malgré une vie heureuse en France, Francis et Madé s’accrochent à leurs racines et sensibilisent leurs enfants à leur terre natale. Ni tout à fait africains, ni tout à fait français, déchirés entre deux patries, ils vont devoir trouver une place entre ces deux cultures et se construire une identité propre.
Francis Bebey, après de nombreuses années d’exercice, choisit d’écouter son cœur : il quitte son travail prestigieux, renonce à une situation stable pour laisser la musique, la joie, la spontanéité et la passion entrer dans sa vie et celle de sa famille. Leur existence se pare alors de nouvelles couleurs, que Kidi parvient à retranscrire avec des mots poétiques. Cette frénésie de vivre, de créer, de concevoir, de jouer, nous entraîne dans une spirale enthousiasmante.
Mon royaume pour une guitare est une invitation. À pénétrer dans l’intimité d’une famille franco-camerounaise et à découvrir une double culture – l’une familière, l’autre dépaysante. À partir à la rencontre d’un homme courageux, qui a eu l’audace et la force de prendre des risques pour s’élever. Une invitation tout en douceur, tout en poésie.
Il découvre également la lecture et, là, c’est comme l’éblouissement qui saisit le marcheur au débouché d’une clairière dans la forêt. Dieu sait qu’elle est dense ici. Un coupe-coupe est indispensable pour s’y frayer un chemin. Mais, une fois l’instrument bien en main, on peut avancer et découvrir les merveilles de la flore équatoriale. Francis plonge dans les mots, se baigne dans les verbes, joue comme un dauphin, émerge, pavoise, boit tout ce qui lui tombe sous les yeux, s’emplit d’idées et de mondes, imagine jusqu’au cœur de la terre et au-delà du plafond du ciel. Il devient le grand ami de Balzac, de Chateaubriand, de Jules Verne, de Dumas, de Maupassant, de nombre de leurs collègues et même de cet éhonté d’Antoine de Saint-Exupéry. La vie devient un songe.
Comment exprimer la joie intense de revoir ceux qui vous ont tant manqué ? La vie se pare de nouvelles couleurs, soudain, des couleurs plus vives, plus tranchées que le pastel parisien. Ne plus jamais repartir ! Elle n’en aura pas le courage. Rester là, à se faire caresser, à se faire dorloter, à flotter dans l’affection des siens, sentir le mouvement de l’air dans ses narines palpitantes, accueillir la nature, la danse des moustiques autour des mollets, fermer les yeux en sachant que le monde, son monde, est juste là, derrière ses paupières et qu’il n’aura pas disparu au réveil, si par mégarde on s’assoupissait. Se sentir apaisée, en confiance, au bon endroit, chez soi enfin.
Admirer un paysage en se rappelant ceux que l’on voyait chez soi. Apprécier un légume dont la saveur rappelle un bref instant celui que l’on aimait déguster enfant. C’est ainsi, sans doute, que l’on établit une partition dans son propre cœur : ici j’aime, j’espère, je jouis, je me réjouis… Là-bas je tremble, je crains, je me souviens, j’oublie. Et c’est ainsi, sans doute aussi, que l’on parvient à supporter cette fameuse distance, cette longue, si longue et lourde distance dont même les oiseaux migrateurs n’osent prendre le pari.
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