« Tristesse et beauté » de Yasunari Kawabata est le premier roman Japonais que je lis. Je dois bien admettre que ça a été une lecture très dépaysante, exotique, qui change de tous les romans occidentaux que j’ai lu jusqu’à aujourd’hui. L’univers est radicalement autre, et, comme je n’avais pas l’habitude de l’ambiance asiatique, il m’a fallu un peu de temps pour m’en imprégner. Mais malgré quelques longueurs et quelques décrochages, j’ai été charmée par cette lecture et conquise par la plume de l’auteur. J’ai également apprécié la place importante occupée par l’art dans ce roman. Le titre est le meilleur résumé qui soit de ce roman, cependant, je vais développer.
Dans ce roman, Yasunari Kawabata met en scène des passions, des émotions et des sentiments multiples qui agissent au sein d’un quatuor amoureux fascinant : Oki, un écrivain célèbre, marié et père de famille, son ancienne amante, Otoko, devenue peintre renommée mais restée célibataire. Le fils d’Oki, Taichiro, et Keiko, jeune élève d’Otoko, « diaboliquement belle ». C’est un livre lent, sans action, sans rebondissements, qui se contente d’étudier ces protagonistes, de disséquer leurs âme, de mettre leurs désirs et leurs velléités à nue. Il s’attarde sur leurs forces mais aussi sur leurs imperfections, leurs faiblesses. Le format court de ce roman est bienvenue : beaucoup de pages ne sont pas toujours nécessaire pour provoquer un impact puissant.
Oki, la veille d’un Nouvel An, se rend à Kyoto pour entendre les cloches sonner la nouvelle année. Il profite de ce voyage pour reprendre contact avec Otoko, qu’il n’a jamais oubliée, malgré la fin tragique de leur histoire, vingt-quatre ans plus tôt. Cette dernière répond présente et ils renouent maladroitement. Mais elle n’est pas seule, elle est accompagnée de Keiko, sa jeune élève en peinture, qui se révèle être le personnage clé de l’histoire.
Les deux femmes vivent ensemble, dorment ensemble, peignent ensemble : elles ont une relation fusionnelle et ambigüe, empreinte de tendresse, de délicatesse et de douceur charnelles. L’arrivée d’Oki dans ce « couple » va le mettre en péril : Keiko est jalouse, possessive et extrêmement passionnée. Elle vit et s’exprime à la manière d’une grande tragédienne, avec grandiloquence, avec affliction. C’est une femme double, ambivalente, à la fois tendre et brutale, calme et ardente. Elle ne tolère pas que sa maîtresse ait encore des sentiments pour cet homme qui l’a fait souffrir toute sa vie durant. Keiko est aussi excessive, impétueuse, profondément torturée et va chercher à venger Otoko contre son gré : en séduisant le père et le fils, en détruisant cette famille.
Il y a une certaine retenue, une pudeur dans ce roman, qui le rend touchant, malgré la violence des passions qu’il exprime. L’ambiguïté et la subtilité font sa force.
J’ai aimé, bien que ça ne soit pas un coup de cœur.
Morceaux choisis :
« En lisant cela, l’idée m’est venue de vous demander de faire mon portrait, pendant que je suis encore jeune.
– Volontiers, si j’en suis capable. Mais, pourquoi ne ferais-tu pas ton autoportrait ?
– Moi ? Cela ne serait pas très ressemblant. Le portrait risquerait de dévoiler toutes les laideurs de mon âme et je finirais probablement par le prendre en horreur. Ou bien, si je me peins de façon réaliste, les gens trouveront certainement que j’ai une trop haute opinion de moi-même ».
« Le parfum que respirait Oki était celui qui se dégageait naturellement de la peau d’une femme qu’étreignait son amant. Toutes les femmes exhalaient ce parfum, et même les toutes jeunes filles. Il avait non seulement un effet stimulant sur un homme, mais encore le rassurait et le comblait. Ne trahissait-il pas en quelque sorte le désir de la femme ?
Sans lui livrer ouvertement le fond de sa pensée, Oki avait néanmoins posé sa tête sur la poitrine de Keiko pour lui faire comprendre qu’il aimait l’odeur qui se dégageait de son corps. Il avait doucement fermé les yeux et était resté là, enveloppé dans le parfum de la jeune fille ».
« Un jour qu’elle écrivait une lettre, Otoko ouvrit le dictionnaire et son regard tomba sur le caractère chinois signifiant « penser ». Tandis qu’elle lisait des yeux les autres sens de ce caractère, qui peut vouloir dire également « penser beaucoup à quelqu’un », « ne pouvoir oublier » ou encore « être triste », son cœur se serra. Il ne lui était même plus possible de consulter un dictionnaire ; là encore, elle retrouvait Oki. D’innombrables mots la faisaient penser à lui. Pour Otoko, rattacher tout ce qu’elle voyait et tout ce qu’elle entendait à Oki n’était rien de moins que vivre. Si elle avait encore quelque conscience de son corps, c’était bien parce que Oki l’avait étreint et l’avait aimé ».
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