Le 29 octobre 1998 partait pour être une journée comme les autres à Götenborg (Suède). Une maison des jeunes organisait une soirée ouverte à tous. Le bâtiment était petit et la foule venue pour se changer les idées était immense. Quatre jeunes se sont vus refuser l’entrée. Ils ne voulaient pas payer de billet car ils disaient être proches des organisateurs. Dépités d’avoir été ainsi rejetés, ils ont voulu se venger…
Nous tenons ici les prémices d’un des évènements les plus tragiques de l’histoire de la Suède. Vers 23h30, un incendie s’est déclaré et s’est propagé rapidement dans tout le bâtiment. L’issue de secours étant bloquée, soixante-trois personnes ont été coincées à l’intérieur du bâtiment et ont péri dans les flammes.
Cette anecdote est l’une des nombreuses qui composent la dernière création du Backa Teater, The Misfits, qui a fait sa première en France au Théâtre National de Bretagne, à Rennes. Pièce en suédois, surtitrée français et anglais, elle se présente sous la forme d’un patchwork de styles contradictoires. Passant du théâtre documentaire à la tragédie expérimentale, jusqu’à la danse contemporaine et le récit de tranches de vie, l’œuvre mise en scène par Mattias Andersson part dans toutes les directions. Un thème relie tous ces styles : les marginaux de la société, les Misfits. La façon dont ceux-ci sont mis à l’écart de la société pour l’incompatibilité de leurs idées et de leurs comportements. La façon dont la masse tente de les ridiculiser, de les annihiler. La façon dont celle-ci n’arrive pas à comprendre que ce sont les marginaux qui changent le monde grâce au non-conformisme de leurs idées.
The Misfits c’est aussi et surtout l’histoire du Backa Teater en lui-même. Crée en 1978, son but originel était de créer un endroit pour permettre aux marginaux et aux enfants de la classe ouvrière d’accéder à la culture. Leurs pièces abordaient (et abordent toujours) des thèmes profondément sociaux, mais leur vision ne s’arrête pas à cela. La musique est également une part importante de leurs créations. The Misfits s’ouvre sur le Teenage Kicks des Undertones. Mais nous aurons aussi l’occasion d’entendre le Straight Outta Compton de N.W.A. et le Blitzrieg Bop des Ramones lorsque deux membres de la troupe effectueront pour le public un historique des modes musicales dans leurs créations.
The Misfits est une création particulièrement expressive. Son message de base est maintes fois répété. Il ne s’agit pas de faire une réflexion philosophique et sociale sur l’inadaptation en société. Il s’agit d’être sur l’émotion. De ressentir clairement ce que ressentent les marginaux. La rage et le désespoir s’expriment par des cris déchirants et des coups violents portés sur les éléments du décor. La pièce est particulièrement réussie par la force de ses anecdotes. Le récit d’un jeune nerd harcelé en classe et se repliant sur sa passion pour les axolotls est drôle et terrifiante à la fois. Le caractère simple et réaliste des anecdotes contées ne fait que renforcer l’immersion dans la pièce.
Nous pourrions reprocher à The Misfits son éparpillement et la variété des tons employés, qui peut parfois perdre le spectateur. Néanmoins un tel défaut est compensé par le fait que les séquences s’enchaînent rapidement pour maintenir l’intérêt du spectateur. Le jeu des acteurs est teinté d’un certain minimalisme, aucun personnage ne se démarque du reste de la masse. Ce qui est encore une fois en accord avec l’esprit de la pièce : malgré l’individualité qui caractérise leur personnalité, les marginaux sont tous regroupés dans une seule et même catégorie, indépendamment de leurs idées.
The Misfits est une intrigante plongée dans l’univers culturel suédois. Loin d’être si différent du nôtre, la balance est maintenue entre une originalité prenante et une accessibilité bienvenue. Ce qui n’est pas toujours le cas dans un tel domaine, où l’hermétisme peut parfois être de mise.
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