Après ses Forêts de Sibérie, Sylvain Tesson nous convie de nouveau au voyage avec son dernier opus : Sur les chemins noirs. Cette fois-ci, il ne part pas au bout du monde. Bien loin du lac Baïkal et de ses paysages époustouflants, c’est en France qu’il nous transporte, une France méconnue, obscure, la France de l’hyper-ruralité, la France des « chemins noirs ».
Tout commence par un événement qui prêterait à sourire s’il n’était pas si lourd de conséquences : Ivre, l’auteur tombe d’un toit. Accident stupide s’il en est… Mais grave, et pas qu’un peu. Direction l’hôpital. A la clé, des vis dans le dos et une gueule brisée, irréparable. En guise de rééducation, il s’embarque pour une randonnée dans une France désertée.
Entre moi et le monde, il n’y avait que l’air tiède, quelques rafales, des herbes échevelées, l’ombre d’une bête. Et pas d’écran ! Aucune information, pas d’amertume, pas de colère. Ma stratégie du retrait distillait sa jouvence dans mes fibres.
Tesson surmonte la faiblesse de son corps et les autres séquelles de sa cuite mémorable avec un seul antidote, la marche. Il s’enfonce volontairement dans les sous-bois inexplorés. La diagonale qu’il prend, de la frontière italienne jusqu’aux plages du Cotentin, c’est l’exact inverse de Compostelle : une ligne inempruntée au possible. Les GR ? Il les évite comme la peste. Le goudron aussi… Lui, ce qu’il cherche, ce sont les chemins de traverse, les chemins noirs, toujours, ceux que personne ne foule, à travers les contrées les plus vides : arrière-pays provençal, Massif Central, Limousin, etc. Il s’aventure, d’une forêt l’autre, par des traverses communales oubliées et autres sentiers broussailleux ; il s’use les yeux sur les cartes IGN pour feinter le macadam.
Depuis dix jours, je serpentais entre les coulures d’asphalte et percevais l’écriture d’une recomposition. L’une des ruralités était morte. On en trouvait un souvenir dans les ruines des plateaux. Les troupeaux avaient été encagés dans les vallées, les pâtures investies par les randonneurs, les hautes routes ne servaient plus aux transhumances, elles avaient été rendues aux vipères. Les chemins noirs couraient sur ces hauteurs abandonnées.
Et qui croise-t-on dans les tréfonds de cette France-là ? Des bêtes sauvages en pagaille, de rares vieux paysans, un chasseur parfois… Et c’est à peu près tout. La magie des chemins noirs, c’est qu’il ne s’y passe rien, et que l’on y trouve la route qui mène à soi. Car ce carnet de voyages vaut aussi et surtout pour ses réflexions. Pas révolutionnaires mais sincères, bien senties : l’auteur ne triche pas. Le style aussi est là : travaillé, ouvragé, fini à la pointe et au ciseau.
C’étaient les pleines vendanges, la terre suait la folie. Les vignes rendraient bientôt en gaîté ce qu’elles avaient raflé en lumière. Des Espagnols s’affairaient dans les rangs : les brigades du rouge. Un ouvrier fumait, en bottes, sur le bord du chemin détrempé par les tornades de la veille.
– Holà ! ça marche les vendanges ? dis-je.
– Bon argent ! sourit-il.
Résultat, après avoir lu Tesson, on se prend l’envie de remplir un sac et d’enfiler de bonnes chaussures de marche pour partir, comme lui, à l’assaut de ces chemins noirs.
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