« A la Nouvelle Orléans, alors qu’une terrible tempête est annoncée, la plupart des habitant fuient la ville. Ceux qui n’ont pas pu partir devront subir la fureur du ciel. Rendue à sa violence primordiale, la nature se déchaîne et confronte chacun à sa vérité intime : que reste-t-il en effet d’un homme au milieu du chaos, quand tout repère social ou moral s’est dissous dans la peur ?
Seul dans sa voiture, Keanu fonce vers les quartiers dévastés, au cœur de la tourmente, en quête de Rose, qu’il a laissée derrière lui six ans plus tôt et qu’il doit retrouver pour, peut être, donner un sens à son existence… »
Mon avis :
J’ai trouvé ce livre brillant. Il s’ouvre sur l’annonce de l’ouragan – annonce qui prend des allures de prophétie, et qui nous fait frémir d’angoisse – et s’achève avec lui, après son ravage, une fois les survivants secourus. Ce roman met en scène des vies brisées, soumises à la misère et à la douleur, et met à nu les souffrances humaines les plus intimes. Il nous plonge dans une ambiance apocalyptique, dans un décor où la nature a repris ses droits, où règnent le chaos et la misère, où le danger est omniprésent, où suinte la peur. L’écriture de l’auteur, vive, acérée et efficace décrit avec beaucoup de véracité l’horreur et la dévastation dans lesquelles se trouve la ville, noyée sous des trombes d’eau, ravagée, en désordre.
Dans cette tourmente, des personnages qui n’ont pas été évacués avant l’arrivée de l’ouragan se retrouvent livrés à eux-mêmes et obligés de lutter pour leur survie : trouver un abri solide, de l’eau potable, de quoi s’alimenter, se défendre contre d’éventuels agresseurs, mais aussi contre les alligators qui ont envahi la ville et sèment la terreur et la mort sur leur passage… Dans cet univers de destruction, les instincts vont prendre le dessus sur la raison et engendrer une douloureuse folie.
Le lecteur suit le parcours de plusieurs taulards oubliés de tous, qui, grâce à l’ouragan parviennent à sortir de leur prison. Chacun d’eux va devoir faire des choix et suivre des chemins différents qui les mèneront vers des destins différents. Un révérend au cœur pur va d’abord tenter de secourir les gens dans le besoin, puis dans cet enfer, va peu à peu perdre les pédales et se laisser dominer par des pensées et des actes fanatiques. Un homme, brisé par la vie, profite de cet ouragan pour rejoindre la femme qu’il aime, qu’il a quittée six ans auparavant et qu’il sait en danger dans cette tempête. Cette dernière, détruite à feu doux par de violentes passions amoureuses, erre comme une âme en peine à la recherche de son fils unique enfui et seul sous le déluge. Son petit garçon, réservé, silencieux, que le lecteur devine torturé, fruit d’un amour raté et cruel, profite d’un moment d’inattention pour s’échapper et flâne sous les flots déchaînés. Et puis il y a Joséphine, « négresse depuis presque cent ans », libre, fière, obstinée, caractérielle et volontaire, qui choisit de rester le plus longtemps possible dans son pays, sur ses terres où sévit sauvagement l’ouragan, dans l’espoir de pouvoir y mourir comme elle y a vécu : libre.
Tous ces personnages sont vrais, ils ont du relief et sont poignants. Ils tentent de survivre malgré le passif lourd qu’ils traînent derrière eux. Ils sont différents, ils se croisent, se rencontrent furtivement, ou se retrouvent, le temps d’un ouragan.
Malgré les thèmes durs, douloureux et sales qu’il aborde, ce roman est beau, il a une puissance poétique qui interpelle, qui émeut, qui nous fait vibrer. A lire absolument ! Et de préférence au chaud, chez soi, confortablement installé sous sa couette : mais ne nous y trompons pas, même là nous ne sommes pas en sécurité, l’ouragan nous happe, nous entraîne dans son sillage et on se retrouve au cœur du chaos le temps de cette lecture…
Morceaux choisis :
« Les hommes détalent, ils ont tort. Ils devraient rester pour voir que leurs maisons ne sont rien, que leurs villes sont fragiles, que leurs voitures se retournent sous le vent. Ils devraient rester car tout ce qu’ils ont construit va être balayé. Il n’y aura plus d’argent, plus de commerce et d’activités. Nous ne sommes pas à l’échelle de ce qui va venir. Le vent va souffler et il se moque de nous, ne nous sent même pas. Les fleuves déborderont et les arbres craqueront. Une colère qui nous dépasse va venir. C’est bien. Les hommes qui restent et verront cela seront meilleurs que les autres. Nous allons tout perdre. Nous allons nous accrocher à nos pauvres vies comme des insectes à la branche mais nous seront dans la vérité nue du monde. Le vent ne nous appartient pas. Ni les bayous. Ni la force du Mississipi. Tout cela nous tolère le plus souvent, mais parfois, comme aujourd’hui, il faut faire face à la colère du monde qui éructe. La nature n’en peut plus de notre présence, de sentir qu’on la perce, la fouille et la salit sans cesse. Elle se tord et se contracte avec rage. Moi, Joséphine Linc. Steelson, pauvre négresse au milieu de la tempête, je sais que la nature va parler. Je vais être minuscule, mais j’ai hâte, car il y a de la noblesse à éprouver son insignifiance, de la noblesse à savoir qu’un coup de vent peut balayer nos vies et ne rien laisser derrière nous, pas même le vague souvenir d’une petite existence. »
« Il n’y a que là, que dans ses bras à elle que les voix se taisent, et les flammes s’éteignent. Il n’y a que là et, en le lui disant, c’est comme s’il déposait sa vie à ses pieds. Elle le sait, elle le sent, elle lui prend le visage dans les mains et l’embrasse. O le long baiser qui dure et soulève les vies, balaie la poussière de nos errances. Il ne bouge pas. Il sent ses lèvres qui effacent sa vieillesse. Ses lèvres qui effacent les peurs inutiles et la fatigue de vivre. Il la serre dans ses bras. Par ses simples lèvres, elle balaie les nuits pesantes toujours renouvelées. Son parfum l’entoure et l’odeur du pétrole glisse, loin de lui. O le long baiser qui ne s’arrête que pour recommencer et qui cloue la nuit au silence. »
« Brillant » est l’adjectif qui convient. Ce roman est tout simplement fabuleux ! J’ai adoré la façon dont le style s’adapte au contexte, c’était merveilleux.
Ton site est vraiment magnifique, et j’apprécie énormément ta façon de donner ton avis, continue comme ça, j’adore !
J’ai lu la mort du roi Tsongor de Gaudé, mais j’avoue que ce livre ci n’a pas l’air mal non plus, il me tente bien !
Merci, ça me touche que mon site te plaise :)
La Mort du Roi Tsongor est dans ma PAL ! J’adore ce que fait Gaudé <3