Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu du Jim Harrison. Ses romans avaient pourtant laissé des traces profondes en moi : ses personnages, comme les contrées où ils vivent, sont rudes et sauvages… En évoquant les grands espaces, il fait jaillir la nature américaine profonde, celle des Indiens, des solitaires, des alcooliques. Bref, j’avais envie de renouer avec cette atmosphère romantique et brutale… Alors, dix ans après Wolf, Mémoires fictifs et Un bon jour pour mourir, j’ai rouvert mon recueil de la collection Bouquins et me suis plongé dans le roman suivant : Nord-Michigan.
Je le confesse, ce n’est pas la première fois que je tentais cette lecture. Il m’a fallu quelques efforts pour passer avec Harrison du Je au Il. Pour passer, aussi, de la jeunesse à l’âge mur : contrairement aux héros vingtenaires de ses précédents romans, Joseph a quarante-trois ans. C’est peut-être aussi pour cela qu’il m’a fallu attendre si longtemps. La magie de Harrison réside dans le fait que vous vous identifiez à ses personnages.
Vous plongez dans leurs pensées les plus banales, dans leurs souvenirs les plus refoulés, dans leur quotidien le plus cru, vous partagez aussi tous leurs épanchements… Et leur émerveillement devant la nature, son immensité, sa cruauté parfois, sa force toujours renouvelée. Tout comme Wolf, Joseph est un chasseur et comme le narrateur d’Un bon jour pour mourir, c’est un pêcheur ; comme eux il est captivé par la forêt, les lacs et les bêtes sauvages. Comme eux il trouve là-bas, loin des hommes, paix et sérénité.
Mais Joseph est aussi un fermier (le titre original de Nord-Michigan est d’ailleurs Farmer), en ce sens qu’il possède une ferme et assure les tâches quotidiennes de la vie à la campagne. Il est enfin professeur, mais il s’agit de sa dernière année d’enseignement, puisque la petite école de campagne où il officie va bientôt fermer ses portes. Il compte donc, sans enthousiasme particulier, relancer pleinement l’activité de sa ferme.
On rejoint ce héros désabusé en pleine crise de la quarantaine, plus ou moins résigné à son sort, victime de ses propres choix : il a végété trop longtemps dans une situation qui ne le satisfaisait pas vraiment, et à présent il a l’impression d’être dos au mur… Il aurait pu voyager, quitter sa région natale, vivre dans des grandes villes, découvrir le monde. Mais il ne s’en sent plus le goût, ni le courage. De même, il a du mal à s’engager avec la femme qu’il aime. Ils se connaissent depuis l’enfance et ont fini par se mettre ensemble il y a six ans, mais au lieu de la demander en mariage, il s’est lancé dans une relation parallèle avec une de ses élèves, âgée de 17 ans.
Voilà donc le portrait d’un homme à la dérive, en pleine crise de la quarantaine, à un moment clé de sa vie. Au passage, on découvre aussi une poignée d’hommes et de femmes vivant dans la campagne américaine profonde, vers le milieu des années soixante-dix… Tout cela pourrait sembler ennuyeux mais ça ne l’est pas. Ça sonne juste et beau. On se dit : ces gens auraient bien pu exister. On se dit : cette histoire nous en apprend plus sur l’homme. Et on se dit : déconne pas, Joseph… déconne pas.
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