Florence Hartmann, dans Milosevic, la diagonale du fou, décrit l’ascension et la chute du chef d’état tristement célèbre. On y découvre quel était son rôle dans la guerre qui éclata à la fin du siècle dernier et les massacres qui s’ensuivirent…
Les Balkans. La poudrière de l’Europe. Cette région, longtemps victime des appétits impériaux, passa successivement aux mains des uns et des autres – Autrichiens et Ottomans, pour ne citer qu’eux. Ainsi, les Yougoslaves (« Slaves du Sud ») forment aujourd’hui une population multiethnique et multiconfessionnelle. Pendant des siècles, Musulmans, Orthodoxes et Catholiques ont vécu en voisins, souvent dans les mêmes cités, les mêmes villages… Mais une telle cohabitation n’allait pas toujours sans heurts. Ainsi, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, l’événement qui déclencha la première guerre mondiale, fut ourdi par un groupe nationaliste Serbe… Dès lors, on peut penser que le conflit en ex-Yougoslavie, près de 80 ans plus tard, était une fatalité et que tous ces peuples du cœur de l’Europe étaient condamnés à s’entre-déchirer un jour ou l’autre.
Mais ce serait une erreur. À la fin du 20e siècle, Serbes, Croates, Bosno-Musulmans, Kosovo-Albanais, Slovènes, Macédoniens (et j’en passe) avaient appris à vivre ensemble. Pour preuve, les mariages inter-ethniques étaient de plus en plus fréquents, tandis que les troubles entre communautés avaient presque totalement disparus. Tito, dirigeant communiste non-aligné au bloc Soviétique, avait contribué à faire d’une Yougoslavie unifiée une réalité – en l’enserrant, il est vrai, dans sa poigne de fer.
Quelques années après sa mort, ses héritiers avaient conservé intact son régime et la confédération des états Yougoslaves. Mais un homme politique avide de pouvoir parvint à changer la donne. Pour devenir président de l’état serbe, Slobodan Milosevic s’appuya sur les nationalistes Serbes du Kosovo. En manipulant les médias, il fit monter le sentiment d’insécurité et remit au goût du jour l’idéal de la « Grande Serbie », un état indépendant qui dépasserait les frontières actuelles pour incorporer tous les Serbes de Yougoslavie.
En cette période d’effondrement du communisme, le pouvoir allait nécessairement échapper aux apparatchiks (cadres supérieurs du régime, dont Milosevic faisait partie)… à moins que ces mêmes dirigeants s’appuient assez tôt sur une autre ligne politique. Selon Florence Hartmann, c’est principalement pour cette raison que le nationalisme a pu réémerger du quasi-néant où il sommeillait. Car l’appareil communiste avait la main-mise sur les médias et détenait donc l’outil parfait pour fabriquer les mensonges, la peur, l’orgueil et la violence.
Beaucoup de hauts dignitaires Serbes ont compris qu’ ils ne seraient peut-être pas renversés s’ils suivaient Milosevic dans sa folie… Mais en réaction à cette menace bien réelle de conquêtes territoriales, d’autres hommes politiques Yougoslaves ont répondu par d’autres nationalismes. Ce qui en a découlé est décrit dans les moindres détails dans La diagonale du fou : affrontements armés et massacres ethniques sous les yeux de casques-bleus impuissants, complots dans les hautes sphères du pouvoir étatique et fédéral, manipulation d’une communauté internationale égarée dans l’indécision et les atermoiements… Le tout au détriment de populations qui pour l’immense majorité ne demandait qu’à vivre en paix.
Cet essai est-il objectif ? De par son titre, on peut soupçonner que non. Il se concentre en effet sur les exactions du président Serbe et de ses thuriféraires ; il pourrait donc faire croire qu’ils sont les uniques auteurs des atrocités qui eurent lieu en Croatie, en Bosnie et au Kosovo. Or, si le rôle du « camp Milosevic » est bien prééminent, il eût été bon de rappeler que des crimes de guerre ont aussi été commis par les autres belligérants… D’autre part, sans ménager il est vrai la communauté internationale, Hartmann prend assez nettement position, dans ce dossier, en faveur d’une intervention musclée « à l’américaine ». Or, on est en droit de se demander si la crise n’aurait pas pu être réglée tout autrement – l’ONU a choisi d’empêcher les Croates et les Bosniaques de s’armer pour intervenir elle-même dans le conflit… avec un mandat qui privait ses casques-bleus de tout moyen réel d’interposition.
Il n’en demeure pas moins que Florence Hartmann fournit un ouvrage très complet, et juste sur bien des points ; je conseille toutefois de le compléter par d’autres lectures, voyages ou reportages pour se constituer une bonne vue d’ensemble sur ce conflit. Ajoutons que la question mérite d’être creusée… car elle colle plus qu’il ne semble à notre actualité.
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