Après Morwenna, Jo Walton nous revient dans un genre un peu différent, avec Mes vrais enfants, une uchronie aux saveurs féministes qui mêle intimement des destins de femmes à l’Histoire.
Mes vrais enfants, c’est le récit – ou devrais-je dire les récits – de la vie de Patricia Cowan. Le lecteur la rencontre pour la première en 2015, dans une maison médicalisée où elle finit ses jours. Elle est alors Vraiment confuse, comme l’indique sa feuille de soins. Aujourd’hui, la clinique est dotée d’un ascenseur. Demain, il aura disparu. Aujourd’hui, les petits coins sont à droite, en sortant de sa chambre. Demain, ils seront à gauche. Aujourd’hui, sa fille Cathy est venue la voir, elle sait alors qu’elle a eu quatre enfants. Demain, ce sera peut-être son fils Philip qui lui rendra visite, elle se souviendra alors qu’elle n’en a eu que trois…
Patricia a vécu deux existences. Dans l’une d’elle, après une relation épistolaire passionnée, elle s’est mariée avec Mark, qui s’est rapidement montré sous un nouveau jour et a muselé toutes ses ambitions, toutes ses envies. Dans la seconde, elle a refusé d’épouser Mark. Elle a alors rencontré l’étincelante Béatrice, et, à ses côtés, elle s’est réalisée – professionnellement et intimement. Mais, dans ces deux existences, le cours de l’Histoire a pris un tour bien différent…
Mais de tout cela, qu’est-ce qui est vrai ? Qui sont ses vrais enfants ? Ceux qu’elle a eu avec Mark ou ceux qu’elle a eu avec Béatrice ? Qu’a-t-elle vécu ? La solitude dans un monde en paix et en marche vers le progrès, ou bien l’amour et l’épanouissement dans un monde de guerres et de maladies ? Sont-ce ses choix qui ont influencé le cours de l’Histoire ?
« Elle l’avait fait, ce choix. Elle s’en souvenait parfaitement, comme du reste. Elle se revoyait au téléphone dans la petite cabine du couloir des Pins, avec Mark lui disant que si elle espérait l’épouser, c’était maintenant ou jamais. Elle avait tressailli, sidérée, et était restée là, hésitante, dans l’odeur de la craie, du désinfectant et des petites filles. Avant de prendre la décision qui allait tout changer dans sa vie. »
Mes vrais enfants – Jo Walton
Mes vrais enfants est un roman brillant. Jo Walton met en place une narration et une construction habiles qui servent une réflexion sur l’importance de faire des choix et d’en assumer les conséquences. Chaque décision détermine notre existence, l’oriente subtilement dans une direction. Les vies de Patricia sont une illustration ingénieuse de l’effet papillon. Chaque événement – même les plus insignifiants parfois – peut avoir des conséquences démesurées – à l’échelle d’une vie ou à l’échelle du monde.
Ainsi le cours de l’Histoire se transforme sensiblement dans les deux existences que mène Patricia. Jo Walton joue avec des faits historiques réels, elle les manipule et les détourne pour servir ses récits. Pour saisir toute la subtilité de ces maniements, il est recommandé d’avoir de solides connaissances en Histoire – ainsi vous percevrez les moments où l’auteur prend des libertés. Si ce n’est pas le cas, rassurez-vous, vous profiterez quand même de ce roman. Vous n’aurez pas besoin de garder le nez dans une encyclopédie pendant votre lecture, car l’Histoire, dans les vies de Patricia, est esquissée en toile de fond et Jo Walton, même si elle n’explicite pas toujours le contexte historique, vous permet de saisir les enjeux des événements qu’elle évoque et leurs conséquences sur les existences de Patricia.
Mes vrais enfants, c’est aussi l’occasion, pour Jo Walton, de dresser d’émouvants portraits féminins. On rencontre des femmes fortes, courageuses, des femmes engagées, éprises de liberté, prêtes à se battre pour leurs droits et ceux des autres. Des femmes généreuses et altruistes, portées par l’amour de leur prochain. Des femmes inspirantes. La plus bouleversante d’entre elles ? Béatrice, qui parvient toujours à redresser la tête malgré les coups durs.
Double uchronie magistrale, roman intimiste troublant, Mes vrais enfants est une curiosité littéraire à découvrir !
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