L’Ombre de Venceslao – Opéra de Rennes
L’Opéra fait partie de ces concepts riches en lieux communs : lorsque nous nous y rendons, nous nous attendons à un divertissement d’initiés. Un raffinement culturel que l’on ne voit nulle part ailleurs. Il suffit parfois de dire « je vais à l’Opéra » pour susciter des réactions d’envie et d’admiration. Comme s’il y avait derrière le concept d’opéra l’idée d’un plaisir inaccessible au commun des mortels.
C’est dire si L’Ombre de Venceslao dynamite tous ces clichés.
Si vous êtes encore en train d’imaginer des voix monolithiques se déclarant leur flamme dans un souffle épique, dites-vous que L’Ombre de Venceslao contient une scène dans laquelle un personnage meurt empoisonné sur les toilettes. Sa voix déchirante hurle en musique « Oh non j’ai chié sur mes bretelles. »
Voilà. Bienvenue à l’opéra.
L’Ombre de Venceslao est une création qui démarre à l’Opéra de Rennes cette année. C’est une adaptation de la pièce de théâtre de Copi, auteur et dessinateur argentin réputé pour avoir été l’un des plus grands activistes du mouvement gay en France à partir de la fin des années 60. La pièce raconte l’histoire de Venceslao, mâle dominant qui règne en tyran sur un univers composé de sa maîtresse Mechita, son amant le vieux Largui, le fils de Venceslao Rogelio et sa promise, qui est (apparemment) sa demi-sœur, China.
Tout ce petit monde va se retrouver entraîné dans un voyage absurde, qui se déroulera autant aux chutes d’Iguazú qu’à Buenos Aires.
L’Ombre de Venceslao est une œuvre particulièrement atypique. Elle peut se suivre comme une pièce de théâtre surréaliste ou comme une démonstration de force du talent de ses chanteurs. La mise en scène est à la fois minimaliste et bariolée. L’œuvre est censée se dérouler dans des paysages tour à tour désertiques, tropicaux ou urbains. Les acteurs surjouent plus qu’ils ne jouent, mais leur ferveur les rend sincères et crédibles. Et que dire de leurs voix ? La plus impressionnante prestation est incontestablement celle d’Estelle Poscio, virevoltante et imprévisible soprano. La prestation vocale de chacun est notamment marquée par son hétérogénéité. Difficile de s’ennuyer devant L’Ombre de Venceslao, tant tout veut prendre à contrepied le spectateur. La partition, composée par Matalon, est omniprésente mais peu marquante. C’est dire si elle est à la fois impeccable et anodine. Elle sait souligner avec brio les inflexions dans les émotions des acteurs, mais ne prendra jamais son indépendance pour marquer le spectateur.
Retranscription déglinguée d’un passé révolu, L’Ombre de Venceslao risque de déplaire à certains. On s’offusquera devant le manque de finesse de certaines scènes et la vulgarité des répliques. Mais nous serons admiratifs de la séquence du tango, où le spectacle arrive à être à la fois dansant, lyrique et théâtral. L’interlude nous permet également d’admirer des joueurs de bandonéon, instrument bien méconnu dans nos contrées.
Un opéra se doit-il d’être nécessairement de bon goût ? On peut se poser la question devant une telle œuvre, tant la qualité des prestations de ses protagonistes jure avec un texte relativement insipide et un scénario bancal.
Bref, L’Ombre de Venceslao est un collage étonnant de nombreuses tendances. Je déconseillerais à tous ceux qui veulent connaître l’opéra de commencer par cette oeuvre, qui est certes fascinante mais qui risquerait de décevoir tous ceux qui veulent un plaisir raffiné.
Ha ha ça a l’air bien barré ;)