J’ai découvert Ken Liu dans les pages du magazine Fiction (hélas disparu aujourd’hui), et ses nouvelles m’ont immédiatement séduit. J’aime sa délicatesse, la finesse des sentiments qu’il exprime et la douce nostalgie qui émane de sa plume. Mais si certaines de ses histoires sont de vrais petits chefs-d’œuvre, d’autres restent un cran en dessous : sans être déplaisantes, elles suscitent moins d’émotion et d’admiration.
Dans L’homme qui mit fin à l’histoire, Liu se lance dans un format un peu plus long que de coutume : une novella d’une petite centaine de pages. C’est à mes yeux un gabarit des plus intéressants ; on y retrouve non seulement le côté ramassé et percutant de la nouvelle, mais aussi la densité du roman, qui permet à l’auteur de développer un sujet en profondeur. Cependant, le challenge est difficile à relever et même les plus grands s’y sont cassé les dents…
Ken Liu a-t-il su relever le défi ? Oui et non. Pour la forme, c’est un sans-faute, et c’est sans doute pour ça que son petit livre mérite absolument d’être lu. L’idée de base est la suivante : présenter cette histoire de science-fiction sous l’aspect d’un documentaire. L’auteur reconnaît volontiers qu’il n’est pas le premier à employer ce procédé. Mais tout d’abord, il a le mérite de le maîtriser à la perfection, ensuite ce traitement reste assez original pour une œuvre écrite, et enfin cela sert parfaitement son propos.
Si j’ai quelques réserves à formuler concernant L’homme qui mit fin à l’histoire, c’est plutôt sur le fond. Le récit de Liu tourne autour d’un couple de scientifiques : la femme, physicienne, invente un procédé permettant de voyager dans le passé ; son époux, historien, emploie cette découverte pour permettre aux descendants des victimes de l’Unité 731 d’observer les atrocités commises envers leurs parents.
Chaque fois que l’histoire de la seconde guerre mondiale est abordée dans une œuvre de fiction, tous mes voyants virent au rouge : sujets battus, rebattus, et pourtant brûlants, tant est forte leur charge politique et émotionnelle. C’est d’autant plus vrai quand il s’agit des pires crimes commis pendant cette période. Pour ne pas salir les mémoires, un écrivain qui choisit ce thème a intérêt à avoir quelque chose d’important à dire… et à très bien le dire. Et de ce point de vue, j’ai l’impression qu’il aurait pu s’abstenir, puisque aucun éclairage véritablement nouveau ou instructif ne se fait jour à la lecture de L’homme qui mit fin à l’histoire.
Enfin, sans déflorer l’intrigue, j’ai trouvé à deux ou trois reprises que l’anticipation en elle-même ainsi que son évolution, tant du point du point de vue politique que scientifique, était peu crédible.
Mais comme je le disais, la lecture de Ken Liu reste très plaisante. Les points forts de l’auteur, que sont le soin apporté à la forme et la représentation des émotions, sont une fois de plus très bien exploités et valent indéniablement le détour.
J’ai beaucoup aimé cette lecture !
Je n’ai pas eu le même ressenti sur le fond. Peut-être parce qu’il m’a semblé que l’auteur s’est plus attaché à parler de la difficulté du devoir de mémoire et du travail d’historien que nous raconter un épisode de la Seconde Guerre mondiale.
Hello ! Oui, je comprends très bien ton ressenti. Je crois en effet que l’auteur attache énormément d’importance à cette question de la mémoire. Il en fait très bien le tour d’ailleurs… mais comme je le disais je n’ai pas l’impression qu’il apporte pour autant un éclairage nouveau. Comment dire… il traite ce sujet délicat avec toute la… délicatesse nécessaire, mais il reste un peu trop « mainstream » à mon goût dans le fond de sa réflexion. J’attendais plus d’innovations de sa part, soit un point de vue plus original, soit un éclairage un peu décalé par rapport à ce sujet. En tout cas, merci pour ton retour :)