On ne peut pas dire que le spectateur est mis à l’aise, lorsque le rideau se lève, que les lumières s’éteignent et que La Ménagerie de Verre commence.
Cette nouvelle représentation de l’œuvre de Tennessee Williams (mise en scène par Daniel Jeanneteau au Théâtre National de Bretagne) choisit un parti pris radical qui pourrait déplaire à certains.
La pièce se déroule dans les souvenirs du narrateur, Tom Wingfield. Ce dernier, ouvrier dans une usine de chaussures et poète à ses heures perdues, se remémore les événements qui ont conduit à son départ de la maison familiale.
Les souvenirs sont des objets bien malléables. Ils font l’objet d’un processus de sélection au cours duquel seuls les plus mémorables sont retenus. Les détails inutiles et le superflu sont supprimés. Daniel Jeanneteau décide de représenter tout ceci de manière concrète dans la pièce : le lieu de l’action sera une estrade couverte de coton, et encadrée par des rideaux blancs semi-transparents. Ajouté à cela, un rideau du même style sera présent durant les trois quarts de la pièce. Le regard du spectateur est donc entravé par deux couches de tissu. Une manière originale de démontrer la distance qui existe entre les souvenirs et la réalité, ainsi qu’entre les spectateurs et le spectacle.
La maison de Tom était habitée à l’époque par sa mère et sa sœur, le père ayant quitté la maison une décennie auparavant, sans donner d’explications.
Sa mère est une vieille hystérique obsédée par son ancien succès auprès des hommes. Elle passe son temps à se disputer avec lui. Leur situation financière est au plus bas, le travail de Tom lui déplaît au plus haut point. Et puis il y a toujours le problème avec sa sœur, Laura.
Cette dernière est infirme et d’une timidité maladive. Elle exaspère sa mère qui souhaite lui trouver un mari, pour sauver l’avenir de la famille. Ce sera Tom qui trouvera un prétendant, un collègue nommé Jim. Ancienne coqueluche du lycée, il n’apparaîtra que dans la très longue scène finale, dans laquelle Laura et lui finiront par apprendre à se connaître.
Au début nous suivons le quotidien de Tom. Sa frustration permanente entre un travail épuisant et une vie familiale infernale. Il trouve une échappatoire dans le cinéma et l’alcool, mais cette solution ne peut être que temporaire. Son collègue Jim va représenter la seule issue possible pour sa famille.
N’espérez pas pour autant un dénouement à la hauteur de vos attentes, car La Ménagerie de Verre est une pièce terriblement réaliste. Et il est rarement question de fin heureuse dans la réalité.
La Ménagerie de Verre est une œuvre particulièrement personnelle. De nombreux éléments autobiographiques sont incorporés. Ainsi, Tennessee Williams vivait aussi avec un père toujours absent, a travaillé dans une fabrique de chaussures, et avait également une sœur infirme. C’est peut-être ce qui explique le mieux la sincérité des émotions de la pièce, et sa dureté si réaliste : l’auteur a su traduire son ressenti et le sublimer dans une fiction.
Bien que Tom soit le personnage principal, c’est véritablement sa sœur Laura qui est au centre de la pièce. Animal fragile dans un monde impitoyable, on éprouve plus de la pitié que de l’affection pour son sort. La scène du diner arrive avec brio à mettre le spectateur dans une ambiance intimiste et éthérée, où tous nos espoirs sont concentrés vers un dénouement heureux. Difficile de s’ennuyer devant la pièce lorsque nous sommes mis sous une telle tension.
Les moments entre Laura et Jim sont parmi les plus touchants de la pièce. Comment deux êtres si éloignés peuvent-ils en arriver à se rapprocher le temps d’une nuit ? Qu’il y a-t-il de plus triste que quelqu’un qui n’arrive pas à citer ses propres qualités quand on le lui demande ?
Bien que profondément sombre, La Ménagerie de Verre vaut le déplacement, ne serait-ce que pour la qualité de sa narration et des émotions qui l’accompagnent.
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