Les beaux jours approchent et on s’écouterait bien une chanson d’été… Une qui parle de soleil si possible, pour bien faire cliché. Vous avez dit cliché ! Et si on s’envoyait « J’veux du Soleil » ? Ou encore mieux, « Le Lundi au Soleil » ?
Ah mais non, ça suffit. Il existe aussi d’autres chansons, parfois un peu plus profondes, sur l’astre du jour. Voici un itinéraire qui, je l’espère, saura vous illuminer. Tout au long de la route vous trouverez des chansons ensoleillées. En plus d’être indispensable à la vie sur Terre, le soleil peut être source d’émerveillement et d’interrogations existentielles, voire de panique quand il disparaît. Cette promenade vous fera percevoir notre étoile à travers différents tempéraments. N’oubliez pas les lunettes de soleil !
Etape 1 : Prendre la grand-route et s’arrêter faire coucou à George Harrison au jardin
Au printemps 1969, alors que les Beatles connaissent une période tendue, George Harrison rêve d’évasion. Un après-midi, il se rend chez son ami Eric Clapton et il est frappé par la beauté du jardin ensoleillé où il se promène. Cela tombe bien, il avait emprunté une guitare acoustique à Eric. « Here Comes the Sun » paraît donc sur l’album Abbey Road en 1969, et elle forme avec « Something » la plus belle paire de chansons des Beatles (au sens où le compositeur est le même) que l’on trouve sur un même album. George montre définitivement qu’il est capable de surpasser Paul et John.
« Here Comes the Sun » signifie littéralement « voici le soleil ». L’originalité tient à ce que le poète-narrateur se tient dans une posture de contemplation un peu désabusée, et non pas de réclamation enfantine. Dire « voici le soleil » plutôt que clamer « je veux du soleil », cela montre une maturité philosophique contemplative digne de Platon. Cette maturité est renforcée par le vers suivant : « it’s alright ». Le soleil n’est pas ici un dû ni un privilège, c’est une fatalité. Mais une fatalité heureuse ! Pour montrer que la présence du soleil est souhaitable et bonne, la beauté de la mélodie suffit – cette chanson est un véritable délice pop. Mais le lien entre soleil et joie est aussi exprimé clairement par le vers « the smiles returning to the faces » (littéralement « les sourires qui retournent aux visages »). Au-delà de la joie des sensations que procure le soleil, le poète-narrateur est tout simplement frappé par une certaine beauté du monde.
Harrison a l’art d’en suggérer beaucoup en disant peu. Ainsi, les deux mots « little darling » suffisent à faire le lien entre le soleil et l’amour. « It’s been a long cold lonely winter » suggère un passé antérieur à la chanson qui aurait été difficile, comme si celle-ci arrivait à point nommé. L’hiver peut, soit dit en passant, renvoyer à une période où les relations entre les Beatles étaient tendues, notamment à cause de mésententes sur des considérations financières. Avec « Here Comes the Sun », un état positif a été enfin atteint, pour le meilleur, grâce à la philosophie dont Harrison était féru. Toutefois, il y a toujours chez Harrison un doute timide sur ce qui lui arrive : « I feel that ice is slowly melting », « it seems like years since it’s been clear » incluent des modulations d’incertitude qui donnent de l’innocence à la chanson, confortée par la façon de chanter. C’est toujours le poète-narrateur qui parle ; « I say it’s alright » signifie qu’on n’est pas obligé d’être d’accord pour dire qu’on est d’accord, mais il nous en donne tellement envie que l’auditeur est soumis à une libre nécessité.
La chanson progresse inéluctablement. D’essence acoustique, elle se fait de plus en plus empressée et riche. Le synthétiseur joué par Harrison et les orchestrations du producteur George Martin contribuent à cette richesse, qui renvoie à celle de la nature dont la chanson permet de retrouver l’authenticité. La mélodie lumineuse suggère les rayons dorés de soleil frappant l’herbe verte du jardin de Clapton. Le chant semble rendre de plus en plus certain le constat du soleil qui vient : « Sun, sun, sun, here it comes », martèle Harrison sur le rythme de la batterie et de la guitare. Le voilà les yeux levés au ciel en train d’apostropher l’astre du jour. La chanson continue et s’achève dans une réelle ivresse mélodique. Nous sommes ici à mille lieux d’un obscur « Blue Jay Way » : la beauté est pure et immédiate. Il n’y a rien de négatif ou d’alambiqué, tout est simple et limpide.
On avait rarement entendu de musique plus heureuse depuis Mozart. « Here Comes the Sun » est un véritable chef d’oeuvre où les mots arrivent toujours à point nommé. C’est la chanson qui rend tous ses droits à notre étoile, ainsi que la bande-son idéale à écouter en boucle quand le printemps arrive ou qu’un brin de soleil en donne l’illusion.
Etape 2 : Bifurquer à gauche et monter la côte en haut de laquelle paissent les bovins
Atom Heart Mother de Pink Floyd contient la perle « Fat Old Sun » composée par David Gimour. Ce titre s’accorde parfaitement avec la pochette, sauf que ce n’est pas une vache qui fait sentir son poids écrasant sur l’herbe verte, mais le soleil. Cette chanson calme et intimiste était parfois rallongée démesurément lors de leurs concerts. Il y est peu question du soleil, mais pourtant il occupe toute la place. « Fat Old Sun » signifie « ce bon vieux soleil », ce qui donne à l’astre un aspect familier. En chantant « When that fat old sun in the sky is falling », Gilmour fait donc un oxymore qui suffit à illustrer le caractère incompréhensible du soleil et de la vie, accentué par la mélodie imposante de la guitare. Il est d’ailleurs question du moment où le soleil disparaît, ce qui participe de son caractère insaisissable.
Lorsque le soleil disparaît, le narrateur décrit le monde alentours avec les sens qui lui restent : l’odorat (« New mown grass smells so sweet »), le toucher (« Pick your feet up off the ground ») mais surtout l’ouïe (« Summer evening birds are calling », « distant bells », « a silver sound from a tongue so strange »). Ces paroles sensuelles sont très belles, et la vue est évidemment la grande absente quand le dernier rayon de soleil disparaît (« The last sunlight disappears »). La coexistence des sens n’est même pas souhaitable, pour une raison obscure : « And if you see, don’t make a sound ». Etrange et planante, la mélodie de « Fat Old Sun » trouve une bonne place entre le psychédélisme floydien et les correspondances baudelairiennes. Le soleil est ici un élément central de l’appréhension du Tout pas les sens, et s’il n’était pas là, on manquerait évidemment quelque chose. D’où l’idée de chanter le soleil en toute beauté.
Finalement, la disparition du soleil, source de lumière, a quelque chose de peu rassurant. Il faut combler le vide de la vue par des sons, si possible par la musique: « sing to me, sing to me »… On sent un certain malaise derrière le caractère inéluctable des cycles naturels. Lorsque l’évocation du « bon vieux soleil » revient (le temps d’un refrain, la Terre a donc fait un tour sur elle-même), la musique se fait beaucoup plus posée et rassurante. C’est sans doute l’adjectif « fat » qui rend le soleil si présent : il occupe tout l’espace onirique, il est éclatant dans la lourdeur de l’air.
Etape 3 : Redescendre sur l’autre versant et passer dans un tunnel de velours
« Who Loves the Sun » est la première chanson de Loaded, quatrième album du Velvet Underground, paru en 1970. Mélodiquement, elle est imparable avec ses « papapapa » montants qui ponctuent les interrogations quelque peu blasées. « Who Loves the Sun ? » signifie au fond « qui aime vraiment le soleil ? ». On part du principe que tout le monde aime le soleil ou le revendique, puis les questions rhétoriques mettent cela en doute. « Who cares that it makes plants grow ? » rend plus explicite la thèse selon laquelle personne n’aime vraiment le soleil à sa juste valeur. Il est la source de toute vie sur la Terre, mais on en a tellement parlé qu’il n’est plus capable d’émouvoir et de faire réfléchir. D’ailleurs, après la question, le groupe de Lou Reed nous donne la réponse : « Not everyone ». C’est ironique et cela signifie davantage « peu de monde » que « pas tout le monde ».
Les vers de cette chanson sont très courts et elle est assez décousue. Il est question de soleil, mais comme dans « Here Comes the Sun », on devine une histoire d’amour en arrière-plan. En l’occurrence, cette histoire a mal tourné : « Who cares that it is shining, who cares what it does since you broke my heart ». Peut-être que l’admiration du soleil est un rebondissement glorieux après une déception, et que cela permet de transformer le poète-narrateur en être capable d’apprécier le soleil à sa juste valeur. Ne devrait-on pas demander plutôt pourquoi aimer le soleil, avec comme présupposé que ce n’est pas vraiment lui qui fait le bonheur, qu’il se contente d’être source d’une vie qui peut tourner en bonheur ou en malheur ? Le poète-narrateur s’en abstient, et une sorte d’opportunisme suffisant transparaît derrière la question « Who Loves the Sun ? ». La réponse implicite pourrait être « ceux qui sont dans un état aussi triste que le narrateur », ce qui rendrait la chanson un peu cynique. A l’écoute, en tout cas, elle apparaît bel et bien amère.
Ce qui est curieux dans cette chanson, ce sont aussi les interrogations annexes « Who loves the wind » et « Who Loves the rain », mises sur le même plan que « Who Loves the Sun ». C’est la preuve qu’il y a une certaine ambiguïté dans les sentiments du poète-narrateur à l’égard des objets de la nature. Le soleil n’est pas, dans cette chanson, synonyme de bonheur : il n’est qu’un élément parmi d’autres qui permet aux plantes – et, par extension, aux humains – de se développer. On ne sait pas trop quoi penser, finalement, de cet amour pour le soleil : désabusé ? authentique ? opportuniste ? salvateur ? banal ?
Etape 4 : Traverser les champs de blé et se poser dans l’herbe pour contempler l’horizon
Un bon rock contemporain et dynamique a toute sa place sur notre itinéraire, s’il est composé avec classe et talent. Le premier album des Belges de Girls in Hawaii regorge d’allusions à la nature, et la chanson « Time to Forgive the Winter » est son apogée. Il s’agit de pardonner à l’hiver dans un élan de grâce sublime, et d’être tout disposé à accueillir le soleil. « I want a sunshine everyday », clame le poète-narrateur avec force, et il associe cela avec les plaisirs du temps : « Time to feel good and warm air ». On est ici dans la célébration ordinaire des temps ensoleillés. Le mariage entre le lyrisme des paroles et la puissance de la musique crée un cocktail unique.
Le soleil exclut ici la pluie, et il est lié avec l’état d’esprit du poète : « It’s easier when it doesn’t rain to change my mind and stay ». En plus d’être source de plaisirs charnels, le soleil est source d’enrichissement spirituel. On retrouve ici la métaphore héritée des Lumières, celle de l’illumination. Il y a peu de paroles mais elles sont percutantes et semblent émaner d’un caprice égoïste : « I want a sunshine on my days ». Lorsque il chante « I agree if you say « you’re selfish », you’re right, that’s me », le poète-narrateur garde à l’esprit que le soleil lui appartient de droit. Le final est saisissant : à force d’être désireux de soleil, le poète s’est confondu avec lui, en adéquation avec l’esprit torride du riff fracassant grâce auquel on retient aisément cette chanson. « It’s time to find a place to dive in sea and burn ». Le voilà perdu dans les aigus, le soleil l’a emporté comme Icare.
Etape 5 : Prendre un train pour Waterloo et attendre jusqu’au crépuscule
Avec « Waterloo Sunset », les Kinks prouvent définitivement qu’ils peuvent faire aussi bien que leurs éminents collègues Beatles et Stones. Quand Ray Davies a composé ce petit joyau de pop mélodieuse en 1967, il cherchait d’abord à décrire un paysage qui représentait sa pensée. Finalement, le coucher de soleil de Waterloo est le paysage sur lequel il s’est fixé. Tout part de la description d’un monde quelque peu déprimant : « dirty old river » pour la nature dégradée par l’Homme, « people so busy, makes me feel dizzy » pour la superficialité des relations humaines. Le poète-narrateur se retrouve seul et s’en accommode : « I don’t need no friends ». Son regard rêveur se tourne alors vers l’objet colossal et inatteignable qui, lui, ne réserve pas de surprises négatives. « Waterloo sunset’s fine » : à Waterloo, le coucher de soleil est agréable. Admirez l’art de l’euphémisme.
C’est après le constat de cette beauté du soleil qui se couche que nous avons la confirmation que c’est un spectacle quotidien pour le poète-narrateur : « Every day I look at the world from my window ». Il ne se préoccupe de rien d’autre que de ce moment où le soleil se couche, c’est pour lui sa raison de vivre : » I don’t feel afraid, as long as I gaze on Waterloo sunset I am in paradise ». Sa force de conviction est telle que pour le dernier couplet, il embarque les deux personnages secondaires de la chanson (Terry et July) dans son trip, et le « je » devient « ils ». Le soleil ne l’a-t-il pas aveuglé à force de contemplation, pour qu’il en vienne à croire que sa passion est contagieuse ? Les choeurs très lyriques semblent aller dans le sens d’interprétation de « Waterloo Sunset » comme une chanson de l’illusion, où le poète-narrateur ne se rend pas compte que les gens alentour se fichent du soleil. Tandis que « Who Loves the Sun » était cruellement lucide, « Waterloo Sunset » est cruellement décalée.
Etape 6 : Bivouaquer et faire un feu de bois en chantant le soleil qui s’évanouit
Le folk étant sans doute le style musical le plus ancré dans les réalités du monde terrestre, ce n’est pas étonnant que ce style abonde de chansons évoquant le soleil. On peut d’abord aller faire un petit tour du côté de chez Nick Drake, jeune homme en proie à la mélancolie, mais aussi auteur-compositeur à la sensibilité rare. Pink Moon, le dernier album avant son suicide, recèle de trésors mélodiques et poétiques. Le sixième morceau « Things Behind the Sun » est l’un d’eux. Un morceau grave qui nous donne lucidement quelques leçons de vie avant de nous inviter mystérieusement à aller voir les choses au-delà du soleil. On peut aussi revenir au premier album de Nick Drake et écouter « Saturday Sun ».
Avant Nick Drake, il y a eu Simon & Garfunkel. Nous n’allons pas aller bien loin dans leur discographie, puisque le morceau qui nous intéresse, « The Sun is Burning », est présent sur leur premier album Wednesday Morning 3 A.M., qui est soit dit en passant leur plus épuré. Sur cette magnifique ballade empruntée à Ian Campbell, Simon & Garfunkel dépeignent un coucher de soleil avec une intensité digne de ce qu’ils font pour leurs propres compositions. Ils ont sans doute choisi de reprendre cette chanson parce que les paroles étaient aussi poétiques que les leurs. Chaque couplet marque une étape dans le parcours quotidien du soleil, dont la disparition est synonyme d’inquiétude : « Now the sun has disappeared/All is darkness, anger, pain and fear ».
Si le soleil disparaît un soir, c’est normal. Mais que diriez-vous si c’était… pour toujours ? Pink Floyd a imaginé cette situation. « Goodbye Blue Sky », présente sur l’album The Wall, raconte une étape dans la vie du personnage Pink. C’est une chanson contre la guerre, mais on peut aussi prendre les paroles au sens propre. Ce qui nous est raconté est alors une terrifiante disparition du ciel bleu. D’une rare gravité, ce morceau acoustique nous fait se demander si le soleil reviendra jamais. La pollution du ciel dans un contexte de crise écologique ne réactualise-t-elle le message de cette chanson ? Certains fous, partisans de la géoingénierie, pensent que l’on peut résoudre le réchauffement climatique en pulvérisant en masse des aérosols sulfatés dans le ciel. Ce dernier blanchirait alors…
Etape 7 : Continuer le pèlerinage en cueillant quelques champignons hallucinogènes
Avant de dire adieu au ciel bleu, regardons encore son hôte se lever. « Sun It Rises » est l’introduction du premier album de Fleet Foxes. Cette aube heureuse donne le ton de ce disque somptueux – soit dit en passant, leur second album commencera aussi par un morceau sur le soleil, « Sun Giant ». Dans la même perspective, Syd Matters évoque l’aspect vital du soleil dans « Hello Sunshine », l’un de ses morceaux les plus lumineux : « Hello Sunshine, come into my life ». Ce n’est pas le seul point commun entre « Sun It Rises » et « Hello Sunshine ». Tous deux s’inscrivent dans un folk plus ou moins psychédélique, lequel n’est pas une nouveauté radicale. En effet, parallèlement à la naissance du rock psychédélique, divers groupes ont inventé un folk psychédélique dans les années 1960.
The Incredible String Band est sans doute le groupe le plus représentatif du folk psychédélique. Sur leur album The Hangman’s Beautiful Daughter, le long morceau « A Very Cellular Song » est un aboutissement du genre avec ses instruments atypiques et ses ambiances folkloriques qui s’enchaînent de façon impromptue. Vers la fin du morceau, on en vient aux pouvoirs du soleil lorsque le chanteur répète à l’envi “May the long time sun shine upon you/All love surround you/And the pure light within you/Guide you all the way on.” Voici un exemple de chanson où le soleil est la métaphore pour tout ce qui peut arriver de souhaitable dans la vie, c’est-à-dire le Bien.
Dans un style similaire, il est conseillé d’écouter Jethro Tull à ses débuts, et notamment l’une des chansons les plus lumineuses de l’album Stand Up. Sur « Look Into the Sun », en effet, le soleil est source de révélations et d’espoir. De même, Donovan choisit la venue du soleil à travers une fenêtre comme élément déclencheur de la trame de l’un de ses morceaux les plus connus, “Sunshine Superman”. Enfin, ce petit tour par le folk psychédélique ne serait pas complet sans évoquer le premier titre de Si On Avait Besoin d’Une Cinquième Saison, l’album génial d’Harmonium. Sur « Vert », le soleil descend « comme s’il avait eu peur », et il va « nous montrer ses couleurs ».
Etape 8 : Prendre le tournant rock sur l’allée psychédélique
Le rock psychédélique obtient son certificat de naissance en 1966 avec l’album Revolver des Beatles. Les quatre garçons de Liverpool ont déjà l’intuition qu’il peut exister un lien fort entre le soleil et ce style innovant, leur morceau « Good Day Sunshine » utilisant soleil comme prétexte pour une révélation que l’on devine davantage liée à la consommation de LSD. Quant à l’album Abbey Road, trois ans plus tard, il transpire de rayons solaires. Nous sommes déjà passés par “Here Comes the Sun”. Pour approfondir, on peut maintenant écouter l’exotique « Sun King » qui ouvre le medley, ainsi que l’incontournable “Because” qui va plus loin que jamais en termes de réactions bizarres provoquées par un temps ensoleillé : “Because the sky is blue, it makes me cry”.
Bien sûr, les Beatles ne sont pas le seul groupe de rock psyché des années 1960 à avoir été émerveillés par le soleil. Pink Floyd s’y est collé dès son deuxième album A Saucerful of Secrets, avec un étrange morceau chamanique intitulé « Set the Control for the Heart of the Sun ». Ce morceau a le privilège de se retrouver ensuite en version allongée sur le disque live de l’album Ummagumma, mais aussi sur la setlist du concert donné par Pink Floyd à Pompéi. Répétitive jusqu’à devenir obsédante, « Set the Control for the Heart of the Sun » évoque beaucoup de choses avec peu de mots. On peut imaginer une secte ou une tribu pratiquant des rituels de célébration du soleil.
A présent, partons à la redécouverte du classique « Sunshine of Your Love » de Cream. Que nous raconte ce rock à la fois psyché et bluesy ? Cela commence par “It’s getting near dawn/And lights close their tired eyes”… Pour la petite histoire, ces vers sont venus à Pete Brown alors qu’il levait le nez par la fenêtre, avisant le lever du soleil. Ensuite, le poète-narrateur évoque un amour inconditionnel, même quand les étoiles commencent à tomber. Puis il y a ce fameux refrain “I’ve been waiting so long/To be where I’m going/In the sunshine of your love”. En définitive, la métaphore du soleil est employée pour renforcer l’imaginaire autour de l’amour.
Coincé entre “Fire” et “Foxey Lady” sur l’édition américaine du premier album de Jimi Hendrix, se trouve un déroutant « Third Stone from the Sun ». Enfin, parmi les grands artistes psychédéliques de l’époque, il ne faudrait pas oublier les Doors. Eux aussi se trouvent sur notre itinéraire, pour une raison compréhensible : « Waiting for the Sun ». Jim Morrison y chante les louanges du soleil de façon épique, déclarant avec solennité qu’il attend l’astre lumineux. Ses talents de poète sont éclatants sur les vers « Can you feel it, now that Spring has come/That it’s time to live in the scattered sun. » Les plaintes dispersées de sa guitare électrique, tout comme les brefs accords évanescents de Ray Manzarek au synthé, peuvent évoquer des rayons de soleil qui viennent frapper la terre.
Maintenant que nous avons fait un tour parmi les principaux artistes de rock psychédélique des années 1960, allons voir du côté de leur descendance. « Lay Back in the Sun » est le “Don’t Stop Me Now” de Spiritualized, groupe psychédélique des années 1990. Un morceau joyeux, puissant, nietzschéen, qui nous porte un peu plus en avant à chaque vers. “Get me some fun, have me some wine, have me some time” : il est question de prendre du bon temps, rien d’autre. Si possible, en se reposant au soleil. En fermant les yeux, tellement celui-ci est ardent, on pourrait même se croire à l’intérieur de lui. Jason Pierce se sent libéré et exalté. Lorsqu’il martèle « Lay in the sun » dans un psychédélisme subtil, on se demande si sa dope n’a pas un goût de soleil.
Le rock psychédélique a connu un renouveau plus récemment. Lonerism de Tame Impala, paru en 2012, s’impose comme la pierre angulaire du psychédélisme contemporain. Or, cet album incroyable se termine par l’évocation d’un lever de soleil. “Sun’s Coming Up” contraste singulièrement avec les autres morceaux de l’album : basée sur une voix et un piano, elle apparaît dépouillée après la fanfare colorée des autres morceaux composés par Kevin Parker. Dans le même biotope, il faut faire un détour pour écouter “Hide from the Sun” de Goat puis “Sun Structures” de Temples, qui donne d’ailleurs son titre à l’album. Quand la sophistication sonore sait garder un refrain entraînant…
Etape 9 : Continuer dans le bois pour emprunter un chemin alternatif au sentier
Paradoxalement, lorsque le rock alternatif évoque le soleil, l’ambiance est souvent assez sombre. Passons rapidement devant “Black Hole Sun” de Soundgarden, pour nous attarder béatement devant « Sunshine Everyday » de Swell. Ce morceau est une conclusion parfaite pour l’album génial qu’est Too Many Days Without Thinking. Les synthés lumineux de la longue et belle introduction instrumentale préparent le choc. « Everyday Sunshine », se met à répéter inlassablement le chanteur avec calme et moult intonations différentes. Puis la batterie s’emballe et une ambiance plus sombre s’installe, mais jamais le soleil ne cesse d’enrober cette chanson stupéfiante.
Quittons Swell, ce groupe injustement méconnu, pour retrouver deux grands classiques du rock alternatif des années 1990 : Supergrass et Muse. En 1997, les premiers évoquent un coucher de soleil sur l’un des morceaux les plus délicieusement péchus de leur album In it for the Money : « When the Sun Hits the Sky ». Quant aux seconds, ils ouvrent deux ans plus tard leur premier album Showbiz par le morceau « Sunburn », caractérisé par sa mélodie de piano à la fois douce et puissante. Le sens de ce morceau est ténébreux, mais le refrain véhicule une image puissante sur l’étoile qui nous intéresse : « She burns like the sun/And I can’t look away/And she’ll burn/Our horizons make no mistake. »
Peu avant de sortir leur chef d’oeuvre Blood Sugar Sex Magik, les Red Hot Chili Peppers cherchaient leur voie entre funk, hip hop et rock alternatif. C’est ainsi que voit le jour en 1992 l’une de leurs perles hybrides, intitulée “Behind the Sun”. Plus récemment, le groupe canadien Ought a composé un excellent morceau de 7 minutes 34 intitulé “Beautiful Blue Sky”. Et sinon, vous vous souvenez de Girls in Hawaii ? « Sun of the Sons » est un super morceau qui figure sur leur deuxième album. Cette chanson fait un possible clin d’œil aux Beatles dans son refrain : « Here comes the sun/Sun of the sons ». Le soleil annonce ici un retour joyeux, conforté par des tintements de cloches.
Etape 10 : Traverser les champs électroniques en prenant garde d’éviter les brûlures
“The English Riveira”, le premier morceau de l’album éponyme de Metronomy, a certainement un goût de soleil avec ses mouettes, ses bruits de vagues et son association avec une pochette laissant voir un beau ciel bleu. Mais avant de nous évader de ce côté, passons rendre hommage aux Chemical Brothers en écoutant leur titre “Setting Sun”, qui a pour vertu assez rare chez ce groupe d’être immédiatement accrocheur. Ensuite, ne manquons pas d’aller saluer Caribou. Sur son album Swim, paru en 2010, il se contente de répéter « Sun » tout au long d’un morceau éponyme, accompagné bien sûr d’un bon beat. C’est assez prenant pour qu’on y voie un sens profond.
Faisons maintenant un petit tour en Europe en commençant par le cœur du continent, du côté de la deep house autrichienne. Le morceau à ne pas manquer s’appelle « Sonnentanz », ce qui signifie littéralement « la danse du soleil ». Il existe une version instrumentale et une version avec des paroles. Sur cette dernière, il est question d’un soleil qui brille uniquement quand il y a de l’amour. Mais même sans cela, ce morceau évoque le soleil avec ses petites ritournelles de flûte et de xylophone surplombant avec clarté une rythmique à la fois tranquille et dynamique.
Allons ensuite voir du côté de la French Touch, où Air nous attend de pied ferme avec “Le Soleil est près de Moi”. Intéressons-nous au passage à Sébastien Tellier, dont l’album Sexuality commence par les vers suivants : « Je rêve de Biarritz en été/Pourtant le soleil brille sur ma peau ». N’avez-vous pas d’emblée l’impression que “Roche”, par ses paroles et sa musicalité, est une chanson gorgée de soleil ? Ce n’est pas la suite qui va le démentir. « Je vois le ciel bleu t’épouser/Et moi d’un seul coup t’aimer », dit Sébastien. Voilà une façon commune mais élégante de tisser le lien entre amour et soleil. Assez forte visuellement, « Roche » suggère le soleil en introduisant un indice tel que « je vois des filles qui changent de couleur de peau ».
Etape 11 : Sillonner les routes de France à la récolte des gouttes de Soleil
Quittons l’Atlantique pour la mer Méditerranée. Sur la plage de Sète, on peut se prendre à imaginer une tombe « en sandwich entre le ciel et l’eau » qui serait celle d’un grand poète du pays. Lorsqu’il écrit « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », George Brassens prend soin d’intégrer tous les éléments du paysage dans ses vers. Y compris le soleil, dans une perspective des plus altruistes : « Est-ce trop demander/Sur mon petit lopin/Plantez, je vous en prie/Une espèce de pin/Pin parasol de préférence/Qui saura prémunir contre l’insolation/Les bons amis venus faire sur ma concession/D’affectueuses révérences. »
Continuons de fouiller le répertoire francophone pour en exhiber “Soleil Cherche Futur”, premier morceau de l’album éponyme du génial Hubert-Félix Thiéfaine. « Soleil, n’est-ce pas merveilleux de se sentir piégé ? » interroge-t-il sur un riff brûlant. Dans un esprit tout aussi rock, on doit à Damien Saez un texte satyrique et provocateur intitulé “Miami”, où il gueule qu’ « ici, même la lumière du soleil est à vendre ». Quant à Renaud, il compose en 1981 une chanson appelée « Soleil immonde » dont les connaisseurs se souviendront du refrain : « T’en fais pas c’est pas la fin du monde/D’autres filles passeront sous les ponts/Et la nature que le soleil inonde/Nous rechante chaque fois sa chanson ».
Avant de partir, il reste deux petites étapes : d’abord « Soleil du Nord » du rappeur Oxmo Puccino, puis “Quand le soleil entre dans ma maison” du chanteur Pierre Perret. Ce dernier intègre comme souvent une touche érotique dans son texte : « Quand le soleil se pointe à l’horizon/Tu promènes endormie tes lèvres douces sur mes reins ». Mais attendez, on n’oublie rien avant de quitter ce pays ? Allez, on passe faire coucou à Claude François, parce que ce n’est quand même pas ce qu’il y a de plus dégueu dans la variétoche hexagonale. « Le Lundi au Soleil », si vous n’aviez jamais fait attention, c’est très simple : il fait beau le lundi et on aimerait faire autre chose que travailler.
Etape 12 : Continuer sur la voie pop d’un été bienfaisant
Prenons congé de Cloclo et allons faire un tour du côté de la pop de chambre de Baxter Dury, dont l’album Tourist contient un morceau intitulé… “The Sun”. Il s’agit d’une chanson élégante, arborant une esthétique sonore raffinée derrière son apparente simplicité. Tiens, apparemment, Johnny n’aime pas le soleil… Alors laissons-le jouer avec son arme et allons voir du côté d’Elton John. Le bougre a composé un morceau appelé “Don’t Let the Sun Go Down on Me”. Mais, au fait… Le soleil dans la musique pop, c’est apparu plus tôt, non ?
Faisons donc le tour de la légendaire “The House of the Rising Sun” et continuons d’explorer les années 1960. « I’ll Follow the Sun », parue en 1964 sur l’album Beatles for Sale, est la première chanson des Beatles qui parle du Soleil. Paul McCartney nous invite à suivre l’astre tout en parlant d’éloignement et de rupture. C’est joli et inoffensif, tout comme « Sunny Afternoon » des Kinks. Sur cette chanson classique des sixties, il est question de ne rien faire d’autre que profiter du soleil un dimanche après-midi. Cela dit, au niveau de la naïveté, Beatles et Kinks sont coiffés au poteau par The Free Design. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter « I Like the Sunrise », reprise de Frank Sinatra et Duke Ellington.
Etape 13 : Abandonner sa naïveté dans les terres prog et post-rock
Evidemment, le rock progressif des années 1970 n’est pas aussi inoffensif avec notre étoile. Les paroles de “Heart of the Sunrise” de Yes sont aussi obscures que la musique est exemplaire. Ce n’est pas non plus facile de comprendre le sens profond d’“Even in the Quietest Moments”, l’un des morceaux les plus progressifs de Supertramp. Pièce centrale de l’album éponyme, les supplications de ne pas voir le soleil disparaître y embarquent irrésistiblement l’auditeur. Pour achever la série, on peut faire un tour par le krautrock allemand et écouter “Light Look at Your Sun” d’Ash Ra Tempel.
Pour rester dans le registre de l’étrange, les plus téméraires se lanceront dans l’écoute de The Dance of the Moon and the Sun, album de Natural Snow Buildings paru en 2006. C’est une étape recommandée, mais il faut être bien équipé. En effet, non seulement le détour dure deux heures et demie, mais ce n’est pas un genre de musique « facile », même au sein du post-rock. En outre, il faut attendre d’être arrivé à la moitié pour trouver ce qui nous intéresse, étant donné que la première partie de l’album est consacrée à la lune et la deuxième au soleil. Ceux qui le souhaitent pourront choisir un sentier plus court et plus dégagé, à savoir « The Sun Smells Too Loud » de Mogwai.
Etape 14 : Poursuivre où le vent vous porte, pourvu que le soleil soit resplendissant
Pour la suite de l’itinéraire, on est vraiment libre. On peut parcourir les routes arides de l’Amérique avec Alexander Supertramp sur “Hard Sun” d’Eddie Vedder, rejoindre les Arctic Monkeys pour un coucher de soleil fracassant sur « When the Sun Goes Down », ou encore opter pour quelque chose d’un peu plus espagnol et écouter “Luna y Sol” de Manu Chao. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Les genres musicaux réputés les plus agressifs ne sont pas en reste : citons “Holidays in the Sun” des Sex Pistols pour le punk et « Mother of the Sun » de Black Rainbows pour le metal.
En tout cas, il ne faut pas manquer « Sun is Shining » de Bob Marley. « Sun is shining, the weather is sweet now/Make you want to move your dancing feet », entend-on sur ce reggae captivant. Tout aussi recommandée est l’étape qui consiste à se demander ce que les Stranglers ont fait de plus new wave. C’était risqué de pratiquer ce style mais ils ont finalement réussi, notamment sur « Always the Sun », un morceau clair-obscur qu’ils jouent toujours en concert. Eh oui, toujours le soleil.
Espérons que cette promenade vous a plu et a permis d’élargir votre compréhension de ce que le Soleil apporte à la musique, et de ce que la musique peut révéler du Soleil. Pour être plus complet, on pourrait prochainement envisager un itinéraire à travers les nuages, la pluie ou la neige. En attendant, n’hésitez pas à commenter s’il vous semble qu’une étape ensoleillée manque à l’itinéraire.
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