Trouver en 2016 un groove sans prise de tête, sexuel et détendu, n’est pas une mince affaire.
Non pas que l’electro-pop et le néo-psychedelia annihilent toutes les tensions des corps. Avouez cependant que la mélancolie urbaine à synthétiseur ne peut pas remplir le spectre infini des sentiments humains. Elle est, pourtant, partout.
Qu’en est-il, de fait, des slackers du New-Jersey, des branleurs l’oreille ouverte aux ex-stars des sixties et du rock déglingos qui s’affinait dans l’ombre de Nirvana ? Rien, me répondrez-vous, et ce n’est pas plus mal ! Pourquoi s’embourber dans une musique d’archiviste quand on a le futur au creux de la main.
Quel dommage, pourtant. Car c’est bien toute une variation de sentiments, d’émotions gardées en germe, intactes pendant des années de jachère, qui repoussent dans le sein de l’auditeur nostalgique. Rares en effet sont les groupes capables de mêler leur fringante jeunesse à des élans passéistes si bien réalisés. Bien sûr, il y aura toujours des légions de mèches troublantes pour nous chanter le désespoir adolescent, mais le pépère de nos 17 ans, ah ça, rien.
Heureusement pour les dernières barricades du rock-à-formol (légion dont votre serviteur est part), il y a Twin Peaks.
Groupe trompeur, qui avec un tel nom nous annoncerait une formation, si ce n’est universitaire, du moins lettrée. On le verrait bien fringant avec son 8,6 chez Pitchfork, brillant et lustré, entre les totems métalliques de Future Island (1) et de Future (2). Ceci dit, notre quintet de Chicago détonneraient au milieu de tous ces progressistes : car Twin Peaks, sur son dernier album « Down In Heaven », joue des arpèges trop colorés, sent la boue après les pluies d’avril et s’en cogne de tout ce qui se fait autour d’eux. « Rock ‘n’roll and be excellent » titrait à leur sujet le webzine Noisey à l’occasion de la sortie de leur deuxième album (et chef-d’oeuvre) « Wild Onion » (2014). A l’écoute d’une nouvelle merveille comme Cold Lips, une telle assertion ne fait aucun doute.
Le son de Twin Peaks tient de la formule simple, comme tous les grands groupes pop : batailles de guitares gentiment psychédéliques, lorgnant sur le flanger estampillé new-wave new-yorkaise. Et puis une voix caverneuse qui rappelle Sky Saxon ou le grand Roky Erickson. Leur premier album « Sunken » (2013) avait tout du brouillon sympathique : pas très bien (auto)produit, sans grand morceau, il laissait présager un groupe mineur et agréable. Mais rien ne préparait au ras-de-marée « Wild Onion », chef-d’oeuvre garage-power pop et gemme cachée qui saura ravir tous les fans de rock adolescent et heureux de l’être. Ce troisième album lorgne du côté d’une americana de bon aloi : en effet, comment revenir sur les terres plus urbaines et glacées de Sloop Jay D ou Making Breakfast ? Le choix opéré par le groupe est donc d’explorer une autre facette de son univers slacker, quitte à se démarquer des proximités stylistiques qu’on voulait bien voir entre eux et un Mac DeMarco, par exemple.
En ce sens, plus encore que « Wild Onion », « Down In Heaven » semble-t-être l’album le plus personnel du groupe. Les structures qui firent leur succès d’estime sont toujours présentes, et le cool ne manque jamais, mais la qualité de la production et la finesse de l’écriture pop ont pris le pas sur une énergie punky qui faisait la limite de leur premier LP. Aussi ressortent pour la première fois d’un disque de Twin Peaks des compositions plus tendres et calmes, telles que Wanted You. Ce pas en avant laisse présager beaucoup de ce groupe ô combien nécessaire et estimable dans le paysage musical contemporain.
Entre hommage malicieux à la pop anglaise des années 1960 (Getting Better et sa citation beatlesienne) et à l’americana éternelle (moult arpèges acoustique et piano claudiquant comme dans les saloons), réalisé avec l’énergie presque velvetienne (période « Loaded »), Twin Peaks signe son album le plus classique, le plus terrestre, peut-être le plus atemporel. Ce n’est certes pas « Wild Onions », mais, bon sang, ça reste quelque chose.
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