Je poursuis ma découverte de la rentrée littéraire en bandes-dessinées et aujourd’hui je vais vous parler d’une nouvelle belle découverte. C’est après avoir lu un petit encart sur « Mauvais Genre » de Chloé Cruchaudet dans un magasine publicitaire que j’ai eu envie de découvrir ce roman graphique. Le thème, déroutant et original, ainsi que le graphisme délicat, m’ont immédiatement interpellée. J’ai donc attendu la sortie de cet album, et sitôt trouvé dans les cartons de nouveautés, sitôt lu !
Paul et Louise s’aiment, Paul et Louise se marient, mais la Première Guerre mondiale éclate et les sépare. Paul, qui veut à tout prix échapper à l’enfer des tranchées, devient déserteur et retrouve Louise à Paris. Il est sain et sauf, mais condamné à rester caché dans une chambre d’hôtel. Pour mettre fin à sa clandestinité, Paul imagine alors une solution : changer d’identité. Désormais il se fera appeler… Suzanne. Entre confusion des genres et traumatismes de guerre, le couple va alors connaître un destin hors norme.
Ce sujet, qui pourrait posséder un je-ne-sais-quoi amusant, évoquer au premier abord « La Cage aux Folles » ou autres drôleries du genre, est en réalité traité de manière grave et pesante. Ici, on ne sourit pas, on ne se moque pas, on respecte la décision de cet homme contraint de se transformer en femme pour survivre, pour échapper aux impitoyables fusils qui abattent les déserteurs. Il n’est question, à aucun moment, d’effectuer ce sacrifice pour épater la galerie. Mais jouissant de sa toute nouvelle liberté, Paul va se prendre au jeu petit à petit, sa personnalité et son identité vont se dissoudre dans son nouveau rôle qu’il prend très – trop – à cœur. Et, suite à un lent processus de dépersonnalisation – également provoqué par ses traumatismes de guerre – il va se perdre, s’abîmer dans un gouffre sans fond qui l’entraînera fatalement vers un comportement violent, égoïste et irrévérencieux. Sa femme, douce, compréhensive, loyale et courage, est son meilleur soutien, mais c’est elle qui fera les frais de sa métamorphose…
Une tension palpable hante cette œuvre dès les premières pages. L’histoire s’ouvre sur un procès, et le lecteur sait immédiatement à quoi s’en tenir : ce récit finira forcément mal, les événements prendront une tournure tragique. Le lecteur est aux abois, guette le moindre faux pas qui pourrait conduire les protagonistes au tribunal.
Ce roman graphique évoque sans tabous des thèmes graves : l’horreur des tranchées, les traumatismes inhérents à la guerre, l’alcool, le sexe, la prostitution, les violences conjugales, tout y passe sans que l’auteur ne cherche à adoucir ses propos. Les paroles sont dures et directes, les images sont crues et le tout percute le lecteur de plein fouet.
La sévérité du sujet est portée par un graphisme aux traits anguleux, nerveux et aigus, qui a peu recours à la couleur : les tons sont délavés, les teintes essentiellement grises et sépias, et ce choix esthétique confère à cette bande-dessinée toute sa dimension triste et tragique.
Ce roman graphique aux ambitions multiples est à la fois une réflexion sur la moralité, sur les mœurs, sur la société pendant et après la Grande Guerre, mais aussi une histoire touchante et émouvante sur les moyens mis en œuvre par un homme démuni pour survivre. Une belle œuvre à découvrir !
Ta chronique est magnifique, on ressent vraiment la tension et l’émotion qu’a pu faire passer l’œuvre. Si je tombe dessus en librairie, j’y jetterai un coup d’oeil!