Il y a quelques années, j’avais entendu parler de la magie de Raymond Carver. Un charme inexplicable qui vous ferre à ses histoires en apparence banales. Un suspense haletant qui transpire de la page, alors que rien d’extraordinaire n’a l’air de se produire. Aussi, quand je suis tombé chez mon bouquiniste sur Les vitamines du bonheur, j’ai acheté le petit recueil.
Avant tout, une chose à dire : on ne m’avait pas menti. Quelque part entre les mots tous simples, sous la trivialité des situations, l’alchimiste Carver a glissé un ingrédient mystérieux. Ça vous accroche, vous rentrez immédiatement dedans sans pouvoir en expliquer la raison.
Une maman commande un gâteau pour l’anniversaire de son fils ; un alcoolique se réveille avec une oreille bouchée ; un couple reçoit pour la soirée un vieil ami aveugle… Voilà le genre de débuts de nouvelles auxquels on a droit. Rien de bien folichon. Et pourtant, en deux ou trois pages à peine, on se retrouve happé… et inexplicablement, la tension monte. On s’est attaché à ces quidams, on ressent leur fragilité, on devine que tout peut basculer d’un moment à l’autre.
Mais le basculement, en apparence, ne survient pas – ou prend une forme subtile, tout juste perceptible. Car l’un des secrets de l’auteur, c’est de ne jamais céder à la facilité. Pourquoi la jeune fille dont il parle a menacé un type avec son flingue il y a quelques heures ? On ne le saura jamais, aucune importance. Ce sont des choses qui peuvent arriver ; certaines sont plus rares que d’autres, mais tout le monde peut croiser le danger ou l’étrangeté quelques fois dans sa vie. Carver ne s’attarde pas là-dessus. Autre exemple : un gamin se fait renverser par une voiture, le conducteur prend la fuite. L’auteur de cette tragédie est-il aussi cet individu malsain qui harcèle au téléphone les parents du gamin ? Non, la vérité est beaucoup plus triviale. Et le lecteur le sait aussitôt. L’auteur ne lui ment pas. Il n’utilise aucune ficelle éculée. Ses personnages ont une âme crédible, ce sont des individus banals, à qui il arrive des choses banales – et tragiques parfois, comme la vie peut l’être.
Les événements, eux, ne sont pas choisis au hasard. Ils semblent tout à fait communs – et en réalité ils le sont, mais ils revêtent pour leurs protagonistes un sens profond, qu’eux-même ne sont pas toujours en mesure de percevoir. Ils révèlent une fêlure, ou déclenchent un changement dans la vie des personnages ; probablement s’en souviendront-ils toute leur vie, sans savoir précisément pourquoi.
Voilà donc un auteur de nouvelles, un pur et dur. A bien des égards et malgré le siècle qui les sépare, il m’a fait penser à Maupassant. Même lucidité sur la classe moyenne, même simplicité apparente du propos, même profond amour du style court…
Vous l’aurez compris, Les vitamines du bonheur de Carver sont addictives, – comme ces pilules de pharmacie qui influent sur votre psyché : pas besoin de comprendre leur chimie pour en ressentir les effets.
J’ai lu Carver à la fac et je l’ai détesté des les premières pages. Pas vraiment prête à me relancer pour le moment.
Hello ! Merci pour ta réponse. Sais-tu s’il s’agissait de la version revue par l’éditeur de Carver (qui est ma préférée, aussi bizarre que cela puisse paraître) ou bien de la version « réhabilitée », basée sur les manuscrits de l’auteur ? Ce sont deux styles d’écriture très différents et tu trouveras peut-être l’autre version plus à ton goût :)
Carver est mon héros, un des (rares) écrivains indéboulonnables de mon panthéon littéraire.
Tout à fait d’accord avec toi :)