Les grands romans du 19e siècle ont l’avantage de ne jamais décevoir. Plus la peine de chercher, on a trié pour vous ; les chefs-d’œuvre sont étiquetés. Bien sûr, il doit se cacher çà et là quelques pépites négligées… mais on a déjà largement de quoi faire avec les livres les plus connus. Alors, lecteur, lectrice, vous qui vous précipitez sur les dernières sorties de vos auteurs préférés, si vous n’avez pas encore goûté à ce délice, je vous engage à le faire de temps en temps : oubliez vos souvenirs liés au contexte scolaire (qui entache presque toujours la perception des classiques, parce qu’ils sont lus trop tôt et sous la contrainte), fouinez dans une librairie ou sur internet, sélectionnez parmi les résumés qui vous parlent le plus et allez-y, lisez un de ces tomes poussiéreux ! Ils recèlent de ces merveilles qui traversent le temps et qui, en plus d’être aussi palpitantes que les publications contemporaines, vous touchent l’âme bien plus qu’un livre à succès d’aujourd’hui ne saurait le faire…
Prenez par exemple Balzac et ses Illusions perdues, œuvre centrale de la Comédie Humaine. On y suit le destin de deux amis, le gros David et le beau Lucien. Au commencement de l’âge adulte, ils s’adonnent aux exaltations de la poésie… Mais ils vivent à Angoulême, bien loin de Paris et donc bien loin du lieu où se fabriquent les destins des grands hommes de lettres. David en prend son parti. Il reste dans sa ville natale pour y succéder à son père imprimeur et épouse Eve, la sœur de son ami.
Lucien, plus idéaliste, rêve avant tout de fortune et de gloire ; épris d’une noble dame du cru, il tente sa chance auprès d’elle et entrevoit dans son salon de province un milieu faste auquel il n’appartient pas. Qu’à cela ne tienne, Lucien montera à Paris avec sa noble amoureuse et tentera par tous les moyens d’y faire valoir ses nombreuses prétentions…
Pendant ce temps, à Angoulême, son meilleur ami et sa sœur se saignent aux quatre veines pour lui, car Lucien ne gagne pas d’argent et veut mener un train de vie fastueux afin de percer dans la capitale. Mais David, le généreux imprimeur, a aussi sa part d’ambition : il entreprend d’inventer, avec les piètres moyens dont il dispose à Angoulême, un procédé qui révolutionna la fabrication du papier.
Histoire de deux destins d’abord, Illusions perdues oppose David et Lucien : le besogneux et le talentueux, le patient et l’empressé, l’opiniâtre et le faible, le laid et le beau, la bonne âme et l’âme funeste… Il y a de la morale dans ce livre, et pourtant on est véritablement séduit par Lucien, on ne peut que l’être, tant il nous rappelle justement ce qu’il y a de faible et d’exalté en chacun de nous.
Histoire aux mille couleurs ensuite, ce livre-monument nous fait connaître la vie de province et celle de Paris à travers une gigantesque galerie de personnages : Balzac dépeint avec génie les milieux de la noblesse, des artistes, des acteurs et actrices, des journalistes, des libraires et éditeurs, des imprimeurs, des petits notables de provinces, etc., etc. Il nous fait connaître la noirceur de l’âme dans toutes les couches sociales, à travers les machinations nombreuses et retorses dont sont victimes ses deux héros… Mais, comme pour démentir ce pessimisme, la bonté aussi éclot partout : chez Coralie, la belle actrice sincèrement amoureuse de Lucien, au sein du Cénacle, le groupe d’intellectuels patients et courageux qui protège l’éphèbe pendant ses débuts parisiens, chez le brave Kolb, employé d’imprimerie à l’esprit simple et sublime, dévoué corps et âme au jeune David…
Histoire du livre enfin, car c’est un autre fil qui maintient la cohérence des Illusions perdues : à travers ces destins croisés, l’auteur va s’attacher à décrire toutes les étapes et tous les aspects du livre à son époque, de la fabrication du papier à celle du document imprimé, de la conception des poèmes, des articles, des essais, des pièces ou des romans vue par leurs auteurs, à la vie quotidienne au sein des rédactions des grands et petits journaux, en passant par les procédés de rémunération, de publicité et de diffusion des œuvres… C’est un vaste panorama qui s’ouvre au lecteur, c’est aussi autour de ce thème que fleurissent quelques descriptions qui pourraient le rebuter aujourd’hui ; il ne faut pas s’y arrêter, les lire d’une traite pour en saisir l’essentiel et passer à la suite…
Car l’intrigue dans son ensemble et toutes les pistes qu’elle déroule forment un ensemble vertigineux et palpitant, un monde qui reflète le nôtre et l’éclaire tout en nous régalant des délices d’un style vivant, splendide et inimitable.
Très belle chronique d’un roman qu’il me tarde de lire… Les classiques sont des livres refuges pour moi, j’y reviens régulièrement :) Et Balzac fait partie des mes auteurs de prédilection !
Merci ! :) Oui comme toi j’adore Balzac ; pour ceux qui voudraient commencer par des textes plus courts et néanmoins excellents, il y a notamment les très belles nouvelles « Le chef-d’œuvre inconnu » et « Le colonel Chabert » et des romans de taille plus modeste comme « César Birotteau » et « Eugénie Grandet ».
oh oui, pour moi aussi il serait temps que je lise ce roman ! Tu m’en as vraiment donné envie ! merci :)
Bonjour, ça me fait très plaisir ce que tu dis là ! Bonne lecture à toi :)
Pour ma part, j’ai hâte de lire un autre roman de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, qui est plus ou moins une suite de celui-ci (on y retrouve Lucien de Rubempré, dix ans plus tard)