Partons d’un lieu commun évident et naïf : nous écoutons de la musique et nous l’apprécions parce qu’elle paraît agréable à nos oreilles. C’est logique non ? Mais dans ce cas, comment expliquer le plaisir que prennent certaines personnes à écouter de la musique qui fait tout pour ne pas être agréable ? Noise, hardcore, expérimental, comment expliquer un intérêt pour tous ces genres ?
Encore une fois, une autre explication évidente et naïve peut nous venir à l’esprit : tous les goûts sont dans la nature, chacun ses goûts, etc. Des lieux communs faciles à lancer car ils permettent d’économiser une réflexion. Cette façon de penser peut parfois être employée dans le sens suivant : tous les goûts sont des valeurs exclusives et inchangeables. Que si telle personne aime tel style et pas moi, alors tant pis nous serons perpétuellement en désaccord parce que la nature a fait qu’elle est sensible à ce genre et pas moi.
C’est un raisonnement particulièrement négatif et implacable. Il faut pouvoir laisser sa chance à des choses qui ne nous sont pas familières si l’on veut découvrir de nouvelles formes de plaisir.
Loin de moi l’idée de vouloir écrire un article sur les sensibilités des gens. Je vais plutôt prendre un cas particulier pour illustrer mon propos. En l’occurrence, j’aimerais parler des Fuck Buttons.
Les Fuck Buttons sont un duo anglais originaire de Bristol. Leurs productions peuvent se classer dans l’électro bruyante, abrasive et monolithique.
Non non, ne partez pas tout de suite ! Moi-même je ne pensais jamais un jour rejoindre la clique des amateurs de musique étrange. Car oui, si vous passez les Fuck Buttons à vos amis, vous risquez fort d’obtenir des sourcils froncés et des regards en biais. C’est dire si leur musique est tout sauf accessible. Mais à vaincre sans effort on triomphe sans gloire. Comment expliquer l’attrait que peuvent présenter les Fuck Buttons ?
Partons d’un premier point. Si les Fuck Buttons ont bien compris une chose, c’est l’importance de la forme. Pas juste celle de leur musique, mais celle de l’image du groupe en général.
Leur nom d’abord. Deux termes n’ayant rien à faire côte à côte. Un duo sortant de l’ordinaire, à la fois violent, vulgaire et intrigant. Un nom à l’image de leur musique en somme. Pourtant, ce nom n’apparaît même pas sur les pochettes de leurs trois albums studio. Parlons-en d’ailleurs de ces pochettes, qui partagent toutes la même structure : d’abord une forme géométrique sophistiquée, puis un espace difficilement délimitable (la mer/le ciel/le noir donc le vide). Deux éléments en opposition. Nous retrouvons ici la dualité présente déjà dans le nom du groupe. Comme le nom de leurs albums, des termes inconciliables et pourtant juxtaposés ensemble : « Street Horrrsing », « Tarot Sport », « Slow Focus ». Qui aurait eu idée de les juxtaposer ensemble ? La combinaison qui en résulte intrigue et reste en tête.
La symétrie est sans cesse présente, et le principe de la symétrie est son impossibilité à nous surprendre, du moins à moitié : tout est clairement délimité, tout est visible et se suffit à lui-même. A croire que les Fuck Buttons ont compris quelque chose qui nous échappe au sujet de l’esthétique.
Leur musique est exactement dans le même esprit. Les morceaux des Fuck Buttons sont très simples à décrire : ce sont des rouleaux compresseurs de magma sonique. Les sons sont distordus, abrasifs au possible, dévastateurs. Tous ces adjectifs sont rarement utilisés dans un sens positif. Dans ce cas, allez-vous me dire, pourquoi faut-il écouter les Fuck Buttons si l’on assimile leur musique à de la torture auditive ? Le groupe n’a que faire des conventions musicales : les morceaux sont tous longs, répétitifs et violents. Face à ce genre de musique, je ne peux m’empêcher d’éprouver de l’admiration. Quelqu’un qui accomplit son travail dans son coin, à sa manière, sans se soucier des autres et de leur opinion, est soit un génie, soit un fou. À défaut de véritablement inspirer du plaisir d’écoute, les Fuck Buttons nous font ressentir une chose bien rare et recherchée en musique : la Puissance.
Prenons « Surf Solar », leur titre phare. Ce n’est pas un hasard si des critiques ont décrit un tel morceau comme étant une supernova. Existe-t-il un autre moyen de le décrire ? Le crescendo est permanent pendant dix minutes. Des échos de ce qui semble être des voix déformées tourbillonnent autour d’insaisissables boucles mélodiques. On est ébahis par la force qui se dégage du morceau, et par le spectacle de notre impuissance à comprendre ce qui se passe.
Finalement, peut-être que la clé du plaisir en musique n’est pas de produire des émotions sonores agréables à l’oreille. Il suffit « simplement » de composer une musique qui soit vraie, implacable, et impossible à réfuter.
Comme tout style musical complexe, la musique des Fuck Buttons est difficile d’accès. Mais pour celui qui aura le courage de dépasser les apparences, il découvrira un tout nouvel univers, avec toutes les qualités et les défauts que celui-ci comporte. Il n’y a pas besoin de décrire plus amplement la musique des Fuck Buttons : c’est à l’auditeur de s’approprier leurs créations.
A écouter : Surf Solar, Sweet Love for Planet Earth, Brainfreeze.
Oh mais je suis choqué ! c’est trop bien !! Merci pour cette pépite !!!