Johanne : Pour
Dans le train, les yeux fermés, la tête posée sur l’appui-tête, le casque sur les oreilles, une playlist Deezer tourne en aléatoire… J’ai chassé le monde extérieur, fait le vide dans mon esprit, ouvert mes sens. Chaque nouveau son qui me parvient m’emplit tout entière. C’est ainsi que j’ai entendu Fauve pour la première fois : en ignorant tout d’eux, de leur musique, de leur succès.
Les premières notes de leur morceau « Blizzard ». Envoûtement immédiat. Une voix douce, une mélodie planante, ça s’annonce très bien. Calme et apaisant. Et puis d’un coup, la rupture, brutale. Une nouvelle voix surgit. La violence et la vulgarité de ses mots tranchent. Passée la surprise – et la déception, pendant quelques secondes, le temps que mon esprit fasse la mise au point – je constate que, bon sang, ça fonctionne. C’est intense, ça prend aux tripes.
Fauve, c’est une expérience musicale plutôt déstabilisante. Inclassable. Slam ? Rock ? Fauve, ce sont des textes scandés par une voix dénuée de caractère et portés par une instrumentation pondérée : présente, elle n’étouffe ni la voix, ni les textes. Qu’est-ce qui fait alors la profondeur de leur musique ?
La faiblesse principale du groupe – la voix relativement insipide du chanteur – est largement compensée par une instrumentation qui parvient à établir un véritable équilibre, une belle alchimie. Elle accompagne, elle porte, elle sublime. Elle crée intensité, rythme et harmonie. Les premières secondes de « Kané » ou de « Blizzard » suffisent à le percevoir. « Tunnel » ou « Loterie » en sont un bel exemple aussi. Je pense que, pour certains titres, l’accompagnement instrumental pourrait se suffire à lui-même.
Mais il y a les textes aussi. Contrastés. Il y a « Blizzard » et il y a « Rub A Dub ». Il y a « Voyous » et il y a « Infirmière ». Des textes entre mélancolie et espoir. Entre vulgarité et poésie. Une authenticité brutale. Des mots simples, des mots de tous les jours, des mots dans lesquels on peut se reconnaître et qui nous touchent – « Sainte-Anne » ou « Hauts les cœurs ». Des mots chargés d’émotions, des mots qui claquent, qui résonnent, qui parlent du quotidien, des échecs, des regrets, des peurs intimes, des combats à mener contre la vie et ses souffrances. Des mots parfois imparfaits, qui cèdent à la facilité ou qui sombrent dans la grossièreté. Mais finalement, c’est peut-être ce qui nous les rend si proches, si familiers. C’est peut-être ce qui a touché tant de monde.
Thibaud : Contre
Autant l’avouer tout de suite : mon avis sera fortement biaisé par le tintamarre médiatique qui a entouré Fauve un an après sa sortie. Blizzard était à l’époque perçu comme « le porte-parole d’une génération », « la voix d’en bas, de ceux que l’on n’entend pas ». Toutes ces phrases servant à justifier l’intérêt d’un tel groupe. A l’époque j’ai immédiatement détesté Fauve. Autant pour la musique en elle-même que pour l’importance que les médias et les gens lui accordaient. Évidemment c’est peu objectif. Alors je vais essayer d’être le plus honnête possible, trois ans après la sortie de Blizzard.
Je n’ai pas envie de me laisser emporter par mon agacement. L’idée de Fauve est quand même pas mal : de l’émotion brute sur un fond pseudo-rock. « C’est l’histoire d’un gars qui tire un autre gars hors de la ville, pour lui buter sa routine, pour le faire aller mieux. » Selon le groupe lui-même, à propos de la chanson-titre.
C’est original non ? Cela a le mérite d’être moins superficiel que ce qu’on l’entend d’habitude, d’être « vrai ». Chaque morceau de Blizzard suivra ce principe : un fond constitué d’une batterie + guitare, parfois quelques chœurs, parfois un clavier. Mais surtout, la voix d’un chanteur qui se lance dans une tirade sur la vie et ses problèmes.
Mais voilà, je n’aime ni la voix du chanteur ni le contenu des paroles. La voix semble tellement sûre d’elle-même, du moins sûre de son manque de confiance en soi. Elle sait où sont ses problèmes et prend plaisir à se complaire dans son malheur. Moi je n’adhère pas à ce genre de musique qui reste fixée sur ses problèmes. Je n’adhère pas lorsqu’il n’y a que les problèmes et rien d’autre. Et en plus, quel type de problème ! Vous arrivez, vous, à cibler précisément le contenu des propos de Fauve, mis à part le « mal-être d’un jeune dans une société moderne, qui ne demande qu’à aimer » ?
Mais bon, je reviendrai sur les paroles après. L’instrumentation maintenant. Avouons-le, quelques idées musicales marchent bien : j’apprécie la présence des chœurs, l’alternance voix masculine-féminine sur « Nuits Fauves », la mélodie de « Haut les cœurs », la fluidité dans le flow du chanteur. Mais cela s’arrête là. L’aspect purement instrumental de Fauve ne me touche pas plus. C’est simple. Plutôt efficace. Mais cela ne transcende pas, cela ne va pas loin.
C’est ça qui me dérange chez Fauve. C’est la défaite de la complexité. On se complaît dans de l’émotion facile, des jeux de mots faciles, des sentiments qui ne vont pas plus loin que le bout de leur nez. Il y a « aller mal » et « ne pas aller mal ». Pas d’entre-deux. Les hommes sont définis par leur capacité à « être bien », mais il n’y aucune réflexion sur le mal-être. Le deuxième pôle de la musique de Fauve est la baise. La baise, toujours la baise. Oui d’accord, c’est une part importante de notre vie (même si beaucoup n’arriveront pas à l’accepter). Mais il faut aller au-delà, il faut faire avec. Ne pas rester fixé dessus comme un animal en rut. S’enfermer dans l’idée que nous sommes des animaux condamnés à ne vouloir que baiser est la première étape vers la déchéance de l’espoir, l’idée qu’il n’existe pas d’autre solution que notre déterminisme. Ah mais si attendez ! Il y a aussi l’Amour ! L’amour qui se manifeste par des câlins au soleil couchant, des paroles rassurantes. L’amour est la seule porte de sortie de Fauve, le seul espoir qui existe dans leur musique. Et l’amour et le sexe sont souvent confondus, ce qui est une autre preuve de facilité…
Je n’adhère pas à cette idée. Pas du tout. Le monde de Fauve est un univers clos sur ses problèmes. Il veut sortir son pote de sa routine ? J’ai l’impression qu’il ne fait que lui faire comprendre que de toute façon il n’a pas le choix et qu’il faut subir. Il faudra qu’il se batte mais au final c’est comme si dans les paroles on sentait que le narrateur ne croyait pas totalement à la possibilité d’une vie meilleure. Les paroles de Fauve sont pour moi monstrueusement égoïstes. « Le monde est constitué de connards ! Ensemble nous irons mieux, nous vivrons une belle histoire ! »
Se rend-il simplement compte qu’un tel avis est partagé par… eh bien, tout le monde ? (j’exagère volontairement, bien sûr qu’il y a des nuances…)
Fauve est pour moi l’équivalent musical des pages Facebook type « Si toi aussi quand t’es triste t’écoutes des chansons tristes pour encore plus te déprimer ». Évidemment qu’on se reconnaît dedans, tellement la définition est vague et vide de sens. Fauve c’est pareil. Il n’y a que la forme qui amène un effet de surprise, puisque nous sommes peu habitués à écouter un mélange guitares/parler-chanter. Sauf qu’il n’y a aucune originalité derrière, cela se fait depuis des décennies. Juste qu’on n’en parle pas, et les gens ne l’ont découvert qu’avec le buzz de 2014. D’où mon agacement.
Un mot qui a été régulièrement associé avec Fauve est celui de « buzz » et cela résume bien pour moi le talent du Fauve : l’art de manier le vague, de faire quelque chose de suffisamment impersonnel pour que tout le monde puisse se l’approprier et le trouver sublime. C’est pour ça que je trouve que Fauve a quand même du mérite : ce n’était pas si simple que ça d’exécuter un tel travail, et Fauve associe très bien le fond et la forme. Sauf que je n’aime pas du tout le fond, alors comment aimer la forme ?
Pour être honnête jusqu’au bout, je dois vous avouer que je n’ai pas détesté cette réécoute de Fauve. Mais je l’ai appréciée comme on réécoute une chanson qu’on adorait au collège. Une chanson qui nous paraît ensuite bien fade à la seconde écoute. La seule différence est que je n’ai jamais réussi à vraiment aimer Fauve à sa juste valeur.
Bref, pour résumer, je vais reprendre le titre d’une critique d’un de mes collègues, qui réussit parfaitement à synthétiser mon avis sur Fauve : « Ils ne parlent pas de moi, ils parlent d’eux. »
La première fois que j’ai entendu Fauve – et tout le buzz autour d’eux – je me suis dit « mais qu’est-ce que c’est cette abomination des oreilles? » Si j’aimais l’instrumentation, le fond musical je me suis dit que tout était gâchée avec les paroles un peu slamées/rapées. En amoureuse du rock s’en était trop pour mes oreilles.
Et puis une personne un soir d’été m’a dit « tu as dû mal écouter vraiment derrière tout le tatouin médiatique Fauve c’est vraiment bon » alors je me suis laissée entraîner dans une réécoute attentive et là ce fut presque le coup de foudre notamment « Rub a Dub » ou « Nuits Fauves ». Et sur l’album « Vieux frères – Partie 2 » j’ai un vrai faible pour « Tallulah » très mélancolique et « Bermudes ».
Parce que certains on du talent et que selon moi Fauve en a dans l’intégralité de leurs compositions c’est un tout qui se marie à la perfection et qui personnellement me touche, me parle.
Ah ah comme je comprends ton premier ressenti, puisque je l’ai partagé. Quand j’ai écouté le début de Blizzard, je me suis dit que ça avait l’air magnifique comme morceau. Puis y a le chanteur qui débarque avec sa voix et ses gros mots je me suis dit « Noooon mais POURQUOI ?? », ça gâchait tout et j’ai failli zapper le morceau. Mais comme toi j’ai voulu insister et j’ai fini par être charmée !
Merci pour ton avis en tout cas, c’est intéressant de voir des ressentis si divisés :)