Quelle lecture pétrifiante et machiavélique que celle du « Maître des Illusions » de Donna Tartt ! La véritable Maîtresse, dans cette histoire, est indéniablement l’auteur, qui joue avec son lectorat, le manipule sans scrupules, le glace jusqu’au sang en mettant en scène une histoire retorse et profondément malsaine.
Fuyant sa Californie natale, bourse en poche, Richard doit son entrée à l’université de Hampden, dans le Vermont, à son opportunisme bien plus qu’à son talent. Prêt à tout pour arriver haut, et vite, le voilà introduit dans la classe du professeur Julian, vouée à l’étude des Anciens, grecs et latins. Bastion de savoir et de snobisme, la petite communauté vit en vase clos, avec deux mots d’ordre : discipline et secret.
Très vite, Richard devine sous le vernis des apparences une tache indélébile, du rouge le plus sombre. Tout ici n’est que vice, secret, trahison, manipulation…
Le récit s’ouvre sur un prologue désarmant, sur un souvenir brutal et choquant évoqué par Richard, le narrateur de cette histoire. Dès les premières pages, le lecteur est jeté dans la fosses aux lions, sans préambule, et prêt à se faire dévorer par une intrigue efficace et sinistre. Pendant plus de sept cent pages, Richard déroule les événements, développe chaque fait, revient sur chacune des circonstances qui ont abouti à une série de drames, s’interroge avec sincérité, sans jamais se défaire de la culpabilité qui le ronge. Culpabilité qui suinte dans chaque phrase de ce roman intense.
On a affaire à un petit groupe de jeunes étudiants aux personnalités bien campées et très complexes. Isolés des autres étudiants, élitistes et marginaux, ils semblent vivre dans leur bulle et être parfaitement inadaptés pour appréhender les situations graves et réelles. Sont-ils attachants ? Écœurants ? Antipathiques ? Difficile de leur coller une étiquette tant leurs personnalités sont denses et bien construites ! Pas de manichéisme, ainsi on est face à de jeunes gens ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Mais bien quelque part entre ces deux extrêmes. Luttant pour défendre ce qu’ils croient être leurs principes – ou leurs intérêts !
A l’image de Richard, le lecteur se retrouve dans un milieu déroutant, de fils et filles à papa, où l’arrogance, l’opulence et l’aisance sont de mise, ainsi que les dérapages divers et variés, qui, on s’en rend compte avec effroi, sont monnaie courante. Admis de façon anonyme dans cet univers, on peut l’étudier à loisir, s’en ravir, s’en offusquer et s’en effrayer.
La narration à la première personne du singulier et l’utilisation des temps présents et passé sont un choix pertinent et habile de l’auteur ! Nous n’avons que le point de vue de Richard, observons tout à travers son regard et ses perceptions – émotionnelles et sensorielles. La fiction sonne alors comme un témoignage, et, accolée à ce scénario d’une grande perversité, nous prend au piège ! Un roman philosophique, un thriller psychologique, un récit initiatique, voici une œuvre multiple et brillante !
Je l’ai lu il y a quelques mois et j’avais bien aimé, tout en le trouvant comme tu dis assez pervers.
Il est dans ma PAL et ta chronique me donne envie de le sortir plus vite que prévu !
JE LE VEUX. J’attendais avec impatience ta chronique, et voilà : ce qui devait arriver arriva, ma wish-list en prend encore un coup. Mais il a l’air tellement bien ! Moi aussi, je veux être ballotée dans tous les sens par l’auteure :D Gros bisous ma poupette <3
Ton billet est excellent et je vais courir l’acheter !
Depuis le temps qu’on m’en dit du bien il m’intrigue, décidément il va finir par y passer.
T’as vu qu’elle a sorti un nouveau bouquin récemment justement ? Unanimement acclamé par la critique au point que ça ne veut plus rien dire bien sur ^^
Oui j’ai vu, et je me tâtais justement… :) Ça a l’air tellement différent du Maître des Illusions que je ne sais pas trop quoi en penser…
J’ai retrouvé ce livre dans ma bibliothèque. J’avais oublié que je l’avais en ma possession. Ton billet me pousse à le lire plus vite que prévu !
Je l’ai lu l’année dernière. Je suis d’accord avec toi : Donna Tartt est le maître des illusions. L’intrigue est bien construite. On ne peut pas tout à fait aimer les personnages, mais on ne peut pas leur être indifférent non plus. Ils ont des personnalités mystérieuses et inquiétantes. Au plus on avance dans le récit, au plus on est étonné, surpris et inquiet : que va-t-il se passer ? Comme tu le dis, c’est pervers et malsain, mais Donna Tartt parvient à nous faire aimer le récit malgré tout.