A l’occasion du Swap Les cinq sens en éveil, Yuya m’avait offert « Il ne vous reste qu’une photo à prendre » de Laurent Graff, un court roman d’une centaine de pages. Un titre bien mystérieux qui a piqué ma curiosité car j’aime la photographie et m’y intéresse. Je dois dire que j’ai tendance à me méfier des romans trop courts, je crains qu’ils ne soient pas assez profonds ou aboutis. Mais celui-ci a tenu mes inquiétudes à distance et je l’ai dévoré en peu de temps. Ce petit conte philosophique et poétique intemporel m’a attendrie.
On y fait la connaissance du narrateur de ce récit, un quinquagénaire désabusé, affecté par la mort de la seule véritable femme qu’il ait jamais aimée, survenue vingt ans auparavant. Passionné par la photographie pendant sa jeunesse, elle a été pour lui d’un immense secours pour immortaliser ses derniers instants avec sa femme, condamnée par une maladie incurable. Après son décès, inéluctable, il a rangé son appareil photo pour ne plus jamais le ressortir. Puis il est complètement passé à côté de sa vie : il a voyagé, collectionné les femmes, tout eu, tout vu, tout fait, mais sans jamais atteindre le bonheur, perdu à jamais en même temps que sa femme. Jusqu’au jour où son chemin croise celui de Clara. Clara, avec laquelle il une relation calme et rassurante. Clara, qui l’emmènera en Week End à Rome où il fera la rencontre d’un mystérieux individu et de son étrange et grave ultimatum : « Il ne vous reste plus qu’une photo à prendre ».
Cette histoire légère est le prélude à une réflexion plus profonde et plus poussée sur des thématiques universelles telles que la peur de l’oubli et l’angoisse de la mort. La photographie est ici présentée comme une façon de se protéger et de se prémunir contre ces angoisses. L’auteur nous livre, sous la forme d’un jeu en groupe, une étude comportementale. Nous observons les réactions de différents protagonistes face à un ultimatum inattendu. Regroupés autour d’un défi, des individus tous très différents se lancent dans un voyage improvisé afin de choisir ou de trouver leur « dernière photo » à prendre. On aperçoit des bribes de leurs vies et de leurs histoires, on découvre une petite facette de chacun de ces individus tandis que l’auteur leur ménage quand même une part de mystère, un jardin secret qui nous reste clos.
Il s’agit d’un petit roman tendre, intelligent et poétique sur la vie et sur la difficulté d’en profiter pleinement – et pas systématiquement à travers un objectif -, sur le temps qui passe et la nécessité de l’immortaliser. Une lecture douce et sensible, un brin fantastique.
« Derrière chaque photo, par-delà le plaisir et la joie, il y a la peur, peur du temps qui passe, de sa fugacité, peur de voir puis ne plus voir, vivre puis ne plus vivre, avoir vécu et n’en avoir nulle trace démonstrative, nul souvenir tangible ; derrière chaque photo, il y a la peur de mourir, et la preuve de notre mort. »
« Derrière chaque photographe, il y a, en fin de compte, un grand timide qui a peur d’être au monde nu et désarmé. Les appareils ressemblent à des masques, des loups de bal costumé, derrière lesquels on se dissimule. Les photos sont des actes manqués, des paroles sous silence, des baisers refoulés, des sourires figés, des yeux qui se ferment. »
La thématique ne peut que me parler puisque la photographie tient une place importante dans ma vie. Je note avec plaisir ce titre ! (à l’inverse de toi j’ai une tendresse particulière pour les romans courts, je trouve qu’ils sont souvent l’occasion de belles découvertes et demandent aux auteurs une originalité certaine).
Je suis contente qu’il t’ait plu ^^