« Réseau(x) » de Vincent Villeminot est un récit glaçant et hypnotique, on ne peut plus contemporain, très ancré dans notre monde moderne. Bien sûr, il nécessite de maîtriser un minimum les codes de notre ère technologique et informatique, car même s’il fournit un grand nombre d’explications, l’auteur part du principe que cet univers est familier au lecteur.
J’ai beaucoup aimé l’originalité et la construction de l’histoire de ce roman d’anticipation : il aborde les problèmes que notre société actuelle rencontre, problèmes qui pourraient s’exacerber à l’avenir, jusqu’à devenir incontrôlables : les vies étalées au grand jour sur le Web, la perte de la notion d’intimité, le danger de se livrer en pâture au su et au vu du monde entier, la difficulté croissante à communiquer et l’accroissement de violences physiques et psychiques… L’incontournable Facebook est rapidement évoqué, mais le réseau social principal du roman est une pure invention de l’auteur : le DreamKatcherBox, omniprésent dans la vie des jeunes, est composé d’une page diurne impersonnelle à laquelle tout le monde a accès, très similaire aux « murs » de Facebook, et d’une page nocturne, plus personnelle, appelée « MyDarkPlaces », sur laquelle les gens racontent leurs rêves et leurs cauchemars, sous la forme de textes ou de vidéos. Je n’ai eu aucun mal à me représenter ce réseau social imaginaire : il est complet, dépeint de manière exhaustive, et l’auteur parvient à en faire quelque chose de très réel, de plausible : et lorsque l’on pose notre livre, nous avons instinctivement envie de nous connecter à notre DKB… C’est machiavélique ! Nous entrons très aisément dans son univers fourbe qui est une véritable invitation à l’exhibitionnisme… Vincent Villeminot décrit avec justesse la manière dont tout devient impersonnel et dénaturé, dont chaque être humain s’affiche et perd son individualité sur ces réseaux sociaux. C’est tout aussi effrayant que fascinant.
Mais cela ne représente qu’une partie de ce roman riche et complexe. Un autre aspect est tourné vers l’univers du jeu vidéo. L’auteur montre les déviations que peuvent subir les réseaux sociaux et jeux vidéos et à quels autres fins plus terribles, nobles ou dangereuses, ils peuvent être utilisés. Je pense que nous mésestimons encore le pouvoir de ces moyens de se faire entendre. Je n’en dirais pas plus afin de préserver les effets de surprises.
Dans un rythme rapide et saccadé, intensifié par de courts paragraphes et des changements fréquents de points de vue, ce roman est une grande fresque de notre époque. Il dresse des portraits justes et poignants de la jeunesse actuelle, de leurs questionnements, de leurs intérêts, de leurs modes de vie. L’auteur tisse une toile qui semble se resserrer inexorablement sur les personnages et sur le lecteur, pris au piège d’une modernité devenue hors de contrôle. Ce roman est une subtile invitation à la réflexion et à la distanciation.
Un premier tome prometteur, à découvrir !
(Une fois n’est pas coutume, un petit PS : Ce roman évoque mon auteur favori, Fernando Pessoa, ponte de la littérature Portugaise, et j’en ai été très émue… ! J’en profite pour vous conseiller d’aller découvrir son œuvre extraordinaire.)
Il cite Pessoa, mais des références il y en a des tas dans Réseau(x), et ça contribue à rendre ce livre encore plus proche du lecteur!
Ta chronique est très lucide sur le livre en tout cas, on sent que tu as déjà un certain recul sur l’œuvre.