« Le Convoi de l’eau » est incontestablement un très beau roman, marquant et bouleversant. Il est court, il se lit vite, mais n’en est pas moins intense.
Il met en scène un homme qui sort de prison après une peine de quatre ans. Hanté par le meurtre de sa femme, tourmenté par sa trahison et la douleur qu’elle lui a infligé, il n’est plus que l’ombre de lui-même lorsqu’il s’engage comme ouvrier sur un chantier en plein montagne, ayant pour seul bagage les os des cinq doigts de pieds de sa femme – afin de ne pas oublier sa tromperie et la douleur qu’il ressent. C’est un homme cruel, violent et solitaire qui essaie tant bien que mal de faire pénitence en intégrant ce groupe, en allant s’isoler en pleine montagne pour plusieurs années de vie à la dure – vie propice à l’introspection et à la découverte de soi. Ce qu’il ignore encore, c’est à quel point la rencontre avec ce petit hameau va le changer et lui être bénéfique…
L’équipe de travail est chargée de construire un barrage en pleine montagne, sur un terrain difficile et accidenté, mais au fond de la vallée où le lac artificiel doit être placé, se révèle un hameau discret. Malgré cette découverte les plans demeurent inchangés, la petite communauté n’a pas d’autres choix que de s’exiler afin de ne pas finir engloutie par les eaux. Mais avant cet inexorable départ, ouvriers et hameau vont devoir cohabiter quelques temps et s’accommoder les uns des autres, malgré leurs mœurs et leur mode de vie différents. Ils vont s’observer et s’étudier à distance, en silence, sans jamais s’approcher. Une aura de mystère entoure ce hameau, dont l’impassibilité et l’indifférence vont susciter beaucoup de curiosité chez les travailleurs. Tout comme eux, le lecteur va s’interroger sur cette singulière communauté, qui semble inébranlable malgré ce qu’elle endure.
Durant tout le roman le lecteur possède le point de vue des ouvriers uniquement, et en particulier celui de cet homme tourmenté, qui cherche la rédemption dans la fuite. Tout comme les ouvriers, nous surveillons ce hameau calme et silencieux, qui ne se manifeste pas, qui ne résiste pas, qui continue à vivre « normalement » malgré les explosions de dynamites dans la montagne, malgré leur environnement et leur cadre de vie qui se dégradent de jour en jour depuis l’arrivée de ces intrus irrespectueux de la nature. L’existence paisible et tranquille qu’ils vivaient en totale autarcie est brisée par le bruit, la violence et la destruction que les ouvriers ont apportés avec eux, et ils sont obligés de se résigner et de s’adapter. Deux mondes distincts prennent forme, deux « sociétés » aux habitudes et aux pratiques très différentes. Cette dissemblance va générer beaucoup d’incompréhension et de scepticisme entre les deux parties et une curieuse relation va se nouer. Une curieuse relation qui va rapidement virer au tragique…
Une écriture efficace, acérée, crue et sans fioritures, qui n’hésite pas à aller en profondeur. Un roman poignant, fort, dérangeant, qui soulève de véritables problèmes moraux et sociaux, sur un fond écologique. On n’en sort pas indemne !
Morceaux choisis :
« Cette traversée du hameau dans le mutisme, première rencontre avec lui, fut le reflet fidèle de notre relation. Pour ses habitants, nous étions une bande d’intrus qu’ils n’étaient en aucun cas en mesure d’accueillir, dont il fallait se méfier. Ainsi avons-nous ressenti la douleur d’être froidement rejetés par le hameau, en même temps que nous étions pris d’une angoisse indicible vis-à-vis de ses habitants ».
« Une vie paisible semblait également revenue dans le hameau. Ses habitants paraissaient ignorer totalement notre existence. Certains s’occupaient des cultures dans les champs, on voyait aussi des silhouettes féminines gravir le chemin de la montagne une hotte sur le dos. Dans les flaques du torrent on pouvait observer le spectacle d’enfants à moitié nus qui poursuivaient les poissons ».
Il y a quelques années, j’ai lu « La jeune fille suppliciée sur une étagère » de cette auteure et j’avais été conquise. Du coup, en voyant ton avis sur ce livre, j’ai très envie de le découvrir aussi ! Je le note donc, merci :)
je note cette lecture, merci